LittératureRomans québécois
Crédit photo : Claude Jasmin
Claude Jasmin ne s’en cache pas: ce roman raconte sa propre histoire, en 1948, alors qu’il était étudiant en céramique à l’école du meuble de Montréal. Bien que son rêve fût plutôt d’étudier les beaux-arts, ses parents n’étaient pas du même avis que lui: «Veux-tu devenir un de ces vagabonds du bas de la ville, un de ces artistes qui meurent de faim?» C’est ainsi que le narrateur, alter-ego de Jasmin, rencontrera Anita, une jeune Polonaise blonde aux yeux bleus lors d’une journée pluvieuse de cueillette de glaise dans un champ de Dorval.
Dès le départ, son amour pour elle est évident et il ne songe pas tout de suite à le cacher. Il est rapidement charmé par ce sourire triste et le mystère qui entoure cette survivante d’Auschwitz, sauvée récemment d’un enfer qu’il ne peut (ou ne veut?) imaginer. Fou d’amour, il la vante auprès de ses parents, qui ne voient pas du même œil cette relation inhabituelle entre un Québécois de souche et une juive polonaise. Toutefois, même si ses parents désirent le voir étouffer cette histoire, le jeune homme ne cessera de voir sa belle; sauf à la toute fin du roman, alors qu’on lui révèle une partie d’Anita qu’il ne peut accepter.
C’est avec une connaissance accrue et une mémoire sans égal que Jasmin peint le portrait de la ville de Montréal à la fin des années quarante. Partout où il se trouve, le narrateur nous surprend: côtoyant à la fois Claude Gauvreau, Murielle Guilbault et Leonard Cohen, prenant part à la querelle automatistes contre surréalistes autour de Pellan et Borduas, le jeune Jasmin a été plus qu’un simple spectateur à ce qui a préparé la Révolution tranquille.
Par ailleurs, le style de ce roman est bien loin de ce que nous avons lu de Claude Jasmin. Le langage utilisé est beaucoup plus soutenu que celui de ses œuvres précédentes, ce qui change drastiquement la facture générale du texte. Alors que Jasmin avait le «tour» de nous faire vivre des moments forts et vrais avec un langage plus familier (plus particulièrement dans Pleure pas, Germaine), on est déçu de ce style qui refroidit le propos de l’auteur et le rend moins vivant.
Aussi, le personnage d’Anita est à la fois trop appuyé (son aversion pour les fours et son appétit sans fond sont des éléments répétés si souvent qu’ils en deviennent lassants) et trop peu développé en ce qui concerne sa psychologie. Néanmoins, cela est peut-être dû au fait que Jasmin n’avait justement pas appris à la connaître réellement, ce qui est un aspect important de la honte qu’il éprouve aujourd’hui face à cet épisode de sa vie.
Malgré ce sentiment flatteur d’avoir accès à l’intimité d’un auteur impressionnant, le nouveau style plus soigné de Jasmin nous prive de ce qui nous charmait chez lui auparavant. Heureusement, la fin percutante sauve la mise de ce roman plutôt en longueurs.
Anita, une fille numérotée
XYZ éditeur
186 pages, 19,95 $
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de la rédaction