«Albert Théière» – Bible urbaine

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«Albert Théière»

«Albert Théière»

Une première BD déjantée pour Matthieu Goyer aux éditions de Ta Mère

Publié le 28 mai 2014 par Annabelle Moreau

Crédit photo : Les Éditions de Ta Mère

Depuis le 15 mai dernier, une bande dessinée surprenante se trouve sur les rayons des libraires québécois. Albert Théière est le récit désarmant d’un homme dont l’anachronisme facial – Albert a le nez posé à l’envers ce qui lui donne l’apparence d’une théière – empoisonne la vie. Pour y faire abstraction, quoi de mieux qu’une touffue moustache?

C’est après une visite peu concluante chez l’optométriste que le verdict tombe: «Je suis un peu mal à l’aise, mais… comment vous dire? Il semblerait que votre nez soit posé à l’envers.» Cette révélation fait remonter de douloureux souvenirs à Albert qui est désormais convaincu que son appendice nasal est la cause de la médiocrité de sa vie personnelle et de sa timidité avec les filles. Sans compter qu’il ne peut porter la précieuse paire de lunettes dont il aurait besoin.

Matthieu Goyer en est à sa première incursion dans le 9e art – il a étudié en cinéma et réalisé quelques courts métrages d’animation. Avec la parution de l’album Albert Théière, on peut dire que le plongeon est réussi pour celui qui a également déjà donné des ateliers à l’ONF.

Son style minimaliste est très efficace, on dévore les cases qui contiennent peu de mots, mais en disent long. En quelque 80 pages, son conte absurde en noir et blanc réussit le tour de force de créer un univers à part entière et des personnages aux contours tous plus ou moins curieux.

Pas facile d’illustrer la réclusion d’un homme qui ne s’aime plus et de ne pas sombrer dans le cliché. Car, c’est ce qu’Albert va se borner à faire dans l’attente qu’une moustache digne d’Hercule Poirot, son idole, ne lui garnisse la lèvre supérieure. C’est seulement à ce moment qu’il pourra reprendre une vie normale, croit-il.

Papier et crayon en main, il va échafauder son plan: trois semaines de congé, la rétrospective complète des films du détective belge, un volumineux historique des moustaches entre -143 à 2011, un roman policier, des croquettes pour Boulette, son chat, des produits pour l’entretien des moustaches, et des boîtes de conserve de soupe à la tonne.

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Dans l’autobus qui le mène au supermarché, Albert fera la rencontre d’un jeune homme qui lui aussi, possède, disons, une particularité physique spéciale. Notre homme théière qui a décidé pour l’occasion de porter col roulé, tuque épaisse et lunette de ski, à l’envers il va sans dire, y trouvera un complice, ce dernier arborant une chevelure disons fantasque. Mais lors de son dernier arrêt à la boulangerie, Albert croisera le chemin de la belle fleuriste qu’il tente d’inviter à dîner depuis plusieurs mois sans succès à cause de sa timidité. Résultat, pas de pain et pas de rendez-vous galant. Que de la frustration et de l’impuissance.

Bien évidemment, la réclusion qui devait être rédemptrice ne se passe pas exactement comme prévu. Albert qui ne voulait que se sustenter de soupe en conserve ne réussit pas à mettre la main sur un ouvre-boîte et la nourriture de Boulette n’est pas à la hauteur.

Le sujet et les thèmes explorés par Matthieu Goyer – l’acceptation de soi, le regard des autres, le dépassement des peurs – sont peu traités en bande dessinée et la bonne dose d’humour décalé injecté par le bédéiste en fait une lecture palpitante. Si l’ouvrage comporte nombre de subtilités et références pour adultes, cette bande dessinée pourrait également faire le bonheur de lecteurs plus jeunes qui pourront se délecter du destin poilu d’Albert. Une excellente entrée en piste pour Matthieu Goyer.

Albert Théière de Matthieu Goyer, Les Éditions de Ta Mère, 85 pages, 20 $.

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