LittératurePolars et romans policiers
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«Millénium 6» de David Lagercrantz: l’heure a enfin sonné
367 pages• Actes noirs • 39,95 $
C’est maintenant officiel: c’est avec Millénium 6 que David Lagercrantz fait ses grands adieux à Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist, les protagonistes vedettes imaginés de toutes pièces par le regretté Stieg Larsson. Accueillez maintenant Camilla alias Kira, l’anti-héros parfait pour relancer le suspense de belle façon.
En toute confidence, je ne suis ni déçu ni amer de leur dire au revoir à mon tour; la saga Millénium, à mon humble avis, s’est bouclée en 2004 avec la disparition de son créateur au dénouement de La reine dans le palais des courants d’air (tome 3). Qu’à cela ne tienne, Lagercrantz, que j’ai découvert à la lecture d’Indécence manifeste, et avec toute la pression du monde, a réussi le pari de ressusciter des personnages qui étaient plus vrais que nature, chacun marqué à sa façon par une identité forte et exubérante. Il a le doigté, je dois le reconnaître, même si Erika Berger, la rédactrice en chef de la revue Millénium, s’est effacée, et que Lisbeth Salander a perdu cette petite étincelle qui nous la rendait attachante… malgré sa rigidité cadavérique!
Alors que j’étais resté mi-figue mi-raison après ma lecture de Ce qui ne me tue pas et La fille qui rendait coup pour coup (tomes 4 et 5), regrettant le bon vieux Larsson, je dois avouer que cette grande finale, qui nous plonge dans le ring avec Lisbeth et sa soeur Camilla, m’a permis de faire la paix avec cette série, dont j’ai aussi dévoré la magnifique bande dessinée.
En plongeant dans ce tome 6, préparez-vous à vous faire raconter au compte-goutte une tragédie au sommet de l’Everest, en même temps qu’une lutte chaude à la suédoise, avec jeux de pouvoir, trahisons, scandales politiques et fake news pour couronner le tout. En direct de Stockholm et Moscou, Mikael et Lisbeth ont du pain sur la planche, comme on dit!
«La mère parfaite» d’Aimee Molloy: cœurs sensibles, s’abstenir!
375 pages • Les escales noires • 34,95 $
Avis aux mamans et papas poules: ce livre pourrait potentiellement vous donner le frisson royal et vous dégoûter solidement. Car avez-vous déjà imaginé ce que deviendrait votre existence si on vous dérobait l’être qui compte le plus à vos yeux, votre enfant?
Ceux qui dévorent mes suggestions de lectures se souviendront de La maison d’à côté de Shari Lapena, dans lequel on assiste au kidnapping d’un bambin alors que les parents dînent entre voisins dans la maison… d’à côté, vous l’aurez deviné. Une histoire épouvantable, racontée avec aplomb. Cette fois, c’est de l’enlèvement du jeune Midas qu’il est question, dans ce premier roman de la romancière Aimee Molloy. Le bébé a selon toute vraisemblance été enlevé alors que sa mère Winnie, qui l’a confié aux bons soins d’une nounou, est sortie avec les Mères de mai pour jaser, trinquer et draguer… sans enfants! Mais lorsqu’elle apprend que la gardienne s’est assoupie et qu’elle a découvert le berceau vide à son réveil… rien ne va plus. Une tragédie qui bouleversera la vie de Winnie et qui fera chavirer le cœur de Francie, Colette, Nell, Scarlett et Gonze ses amis du club.
À la lecture du quatrième de couverture, j’avoue que j’étais largement conquis, malgré un fort sentiment de déjà-vu. Ce qui m’a tenu le plus en haleine, c’est définitivement l’alternance entre les points de vue narratifs des Mères de mai, qui rythment le récit plus que l’enquête policière en elle-même. Un seul conseil pour vous: assurez-vous d’avoir le cœur solide avant de vous lancer.
«Luca» de Franck Thilliez: suspense horrifiant et documenté à souhait!
552 pages • Fleuve noir • 36,95 $
Je l’admets, pour une première excursion en terres thillieziennes, j’ai déjà choisi moins corsé comme divertissement littéraire! À l’instar de Jean-Christophe Grangé ou encore Patrick Bauwen, deux contemporains avec lesquels Franck Thilliez a dû flirter, on voit en un coup d’œil que ce dernier maîtrise bien les codes d’un suspense en dents de scie.
Dans cette enquête de Franck Sharko et ses collègues du 36 – Nicolas, Audra, Pascal et Lucie –, on nage en eaux troubles avec de vieilles histoires jusqu’ici non élucidées qui se recoupent pourtant des années plus tard: un cadavre dont le visage a été épouvantablement brûlé à l’acide sulfurique; des fœtus de bambins gorgés d’excroissances dignes d’un musée des horreurs; un bébé du nom de Luca, dont on ignore qui sont les parents biologiques. Et c’est ce Luca de huit mois – sans son s habituel – qui prête son nom au récent roman de Thilliez. Quel est le rapport entre ces faits et évènements à première vue isolés?
L’auteur nous immerge des pieds à la tête dans cette intrigue complexe et documentée à souhait qui ne manque pas de rigueur et de rebondissements. Si certaines longueurs n’ont servi au final qu’à appesantir l’histoire, j’ai pourtant adoré les nouvelles fenêtres de perspective qui s’ouvraient au fil des chapitres. On s’attend à découvrir l’identité d’un serial killer, mais l’auteur a bien plus à offrir.
Pour ceux qui se rappellent le film glauque 8 mm avec Nicolas Cage, voilà ce que je voulais dire par divertissement corsé: c’est à une immersion dark dans l’univers des snuff movies, de la perversité au sens dégradant du terme, que vous convie Franck Thilliez. Et bonne chance pour en deviner les tenants et aboutissants. Accrochez-vous bien avant de vous lancer!
«Bonheur meurtrier» de Dominique Girard: une enquête digne du jeu Clue!
234 pages • Éditions Fides • 26,95 $
En bon amateur de romans policiers et polars que je suis, je me fais toujours un devoir de vous présenter au moins un titre québécois ayant retenu mon attention parmi ma sélection. À l’été, je vous présentais Terminal Grand Nord d’Isabelle Lafortune – l’auteure est d’ailleurs en train de sprinter sur une suite! – et maintenant c’est au tour de Bonheur meurtrier, cette fois d’une auteure touche-à-tout, que j’ai eu le plaisir de découvrir suite à une entrevue qu’elle nous a accordée en juin dernier.
Ici, le titre Bonheur meurtrier est en réalité un clin d’oeil malicieux à Bonheur illimité, le troisième et plus récent ouvrage de Richard Young, conférencier et auteur à succès dans le domaine de la croissance personnelle. Fort d’une aura magnétique, d’une dégaine séduisante et d’un sourire à désarmer la gent féminine, Young est l’archétype de l’homme idéal. Ou presque. Car les apparences sont parfois trompeuses, et malgré les relations joviales qu’il entretient avec ses proches – Audrey Leblanc, son attachée de presse, Pierre Roberge, son ami et comptable, Elizabeth Donato, l’ex qu’il évite à tout prix, Maude Hébert, sa directrice littéraire aux Éditions Horizon, jusqu’à son médecin de famille (!), docteur Thibeault. Tout un chacun semble avoir une dent contre lui… bien à sa manière.
Et c’est justement là où réside tout le plaisir de ce roman: le doute plane au-dessus de chaque tête, et tout le monde est louche à sa façon. Si l’on jouait à Clue, Dominique Girard nous aurait déjà dévoilé un indice, la scène du crime: l’hôtel de la Place Bonaventure. Ne manque plus que l’arme, le nom de l’assassin et, bien sûr, le motif.
Celle qui vantait les mérites du roman, disant que «ces derniers nous surprennent [car] nous assistons à des dénouements inattendus, a visiblement écouté tous les Columbo et dévoré quelques Agatha Christie, car son Bonheur meurtrier se lit en deux temps trois mouvements, tellement on a hâte de savoir qui a assassiné Richard Young. Ou d’accuser… comme à Clue!
«Sécurité» de Gina Wohlsdorf: série de meurtres… dans l’œil des caméras!
268 pages • Actes noirs • 42,95 $
Bien honnêtement, j’ai hésité avant d’inclure ce roman – pas si costaud – à ce dossier de la rentrée, car je n’y ai pas vraiment trouvé mon compte! Je me suis solidement ennuyé, pour être 100% franc. Le quatrième de couverture donnait pourtant le ton et m’a même captivé, du moins assez pour que je le lise en entier: à la veille d’ouvrir grandes ses portes au public, un hôtel de luxe devient le lieu de toutes les horreurs lorsque les membres du personnel sont sauvagement assassinés à tour de rôle. Pas mal, non?
Et voilà l’unique attrait du livre qui m’a pourtant donné l’envie d’en connaître le dénouement: la narration nous est racontée à travers l’oeil des multiples caméras de sécurité qui filment sur bandes l’hôtel sous tous ses angles. Au lieu des éternels chapitres un qui succèdent aux chapitres deux – vous voyez où je veux en venir? –, on a ici droit aux différentes caméras numérotées qui filment de tous bords tous côtés la scène se jouant à l’instant même; on y découvre bien vite Tessa et Sid, ainsi que les chefs, apprentis cuisiniers et femmes de ménage, qui y bossent. On ne s’attache à aucun d’entre eux bien honnêtement, et la raison est simple: ils sont vus à travers des bandes, comme dépourvus d’affects.
L’exercice de style demeure pourtant intéressant, et il fallait bien s’y essayer. Mais un huis clos, c’est déjà suffocant en soi, et cette histoire aurait été mieux servie entre des mains plus expérimentées. J’aurais bien vu Stephen King, Camilla Läckberg ou même Valentin Musso se prêter au jeu. Dans Sécurité, il règne un chaos désorganisé et une espèce d’indifférence entre chaque coup de couteau et veine jugulaire sectionnée que toute cette grande mascarade en devient presque risible. À chacun ses goûts, comme on dit!
«L’étranger dans la maison» de Shari Lapena: à donner le frisson royal
301 pages • Presses de la Cité • 29,95 $
Je l’ai déjà dit ci-haut, mais je me répète: quelle tension dramatique il régnait dès le premier chapitre – et lors du moment climax durant lequel les parents se rendent compte que leur bébé a disparu – de Le couple d’à côté, premier roman de la Canadienne Shari Lapena! Cette fois, l’auteure jongle à nouveau avec les codes du roman à suspense pour nous offrir une histoire à donner le frisson royal.
Cette fois, les prémisses du récit font un peu penser à Revenir de loin de Marie Laberge: une femme, victime d’un grave accident de la route se réveille à l’hôpital dans un état amnésique. Les policiers croient qu’elle fuyait quelqu’un, car sa voiture a percuté de plein fouet un poteau à grande vitesse. Près du lieu de l’accident, un homme a été retrouvé criblé de balles, assassiné dans un restaurant d’un quartier crado. Pourquoi s’est-elle rendue là précisément? A-t-elle un lien quelconque avec ce drame?
Shari Lapena possède cette force d’inventer des personnages qu’on aurait envie de connaître, auxquels s’attacher peut-être, mais on n’y arrive pas tout à fait, puisqu’ils semblent tous cacher des choses au plus profond d’eux-mêmes pour mieux se défendre. Et c’est ce qui rend ses histoires captivantes: sa façon de faire planer le doute pour que l’on soupçonne tout à tout le mari infidèle, la voisine voyeuse, ou bien la narratrice elle-même? Qui sait!
«Rue du dragon couché» de Chi Wei-Jan:
458 pages • Calmann Lévy • 34,95 $
Un professeur de théâtre largue sa copine du jour au lendemain et démissionne de son emploi sur un coup de tête afin de devenir détective privé pour vivre de sa passion pour les enquêtes policières. Voilà grosso modo la nouvelle vie dont rêvait Wu Ch’eng en secret, lequel s’est toujours passionné pour les crimes et les serial killers. Il décide donc de faire le grand saut, carte d’affaires en main, sans autre formation que ces romans policiers qu’il a dévorés assidûment depuis sa tendre adolescence. Sauf que sa curiosité aura un prix, et surtout des conséquences, car il se retrouvera dans de beaux draps dans une histoire de double, triples, quadruples meurtres, que sais-je!, où il s’élèvera au rang de suspect numéro un… oups.
Si je m’étais attendu à lire un roman policier taïwanais un jour! Et ce n’est pas un style habituel en plus, car l’auteur, Chi Wei-Jan, ne se prend pas du tout au sérieux, sauf lorsqu’il part dans ses délires avec des réflexions philosophiques où il se plaît à réfléchir à voix haute sur divers sujets plus sérieux, comme l’âme, le destin, le bouddhisme, ou encore les motivations sadiques des serial killers. Juste ça. Car autrement, ce roman est truffé d’humour et de scènes loquaces, donnant un caractère humoristique qui flirte avec la satire, par moments. Et il y a une bonne raison à cela: «Les enquêtes abracadabrantes et truffées d’analyses psychologiques et de spéculations philosophiques ne conviennent pas vraiment aux Taïwanais, d’un naturel candide et plutôt franc du collier.»
Il y a donc un côté rafraîchissant et sans prise de tête à ce roman qui nous donne envie de suivre ce personnage impulsif, candide et tête en l’air, qui se prend au sérieux malgré la déficience de ses raisonnements. Ne vous attendez pas à une grande enquête policière avec moult rebondissements, car le pauvre homme se fait bien vite prendre à son propre jeu… si vous voyez ce que je veux dire!