CinémaZoom sur un classique
Crédit photo : Image provenant de l'oeuvre «Stalker»
Trois hommes – un auteur, un professeur et un stalker – se dirigent vers la Zone. Ce territoire mystérieux abrite la Chambre. Ceux qui s’y rendent pourront voir leur souhait le plus précieux se réaliser. Le stalker agit à titre de guide au sein de cette Zone, qui pourrait s’avérer dangereuse, et il se questionne sur les supposés bienfaits de cette Chambre.
Lors de son périple, le trio s’échange plusieurs paroles philosophiques, et le stalker révèle maints secrets sur la Zone. Une fois arrivés à la Chambre, les hommes découvriront que l’un d’entre eux n’est pas ce qu’il devrait être…
D’une pellicule sépia à une flore luxuriante
L’une des séquences les plus marquantes de l’œuvre est certainement l’entrée des protagonistes dans la Zone. Sur un chariot, les hommes regardent le paysage et s’enfoncent tranquillement dans l’inconnu, où la végétation devient de plus en plus luxuriante. Ils découvrent (en même temps que les spectateurs) un lieu alors inconnu et rempli de mystères.
La Zone devient alors un personnage à part entière dans le récit; Tarkovski le révèle de manière précise et émerveille ainsi son spectateur.
Cet effet ne serait pas aussi remarquable si le reste du film n’était pas en sépia. En effet, Tarkovski utilise deux effets bien différents au niveau de la couleur. Les scènes au sein desquelles le trio ne se trouve pas dans la Zone sont filmées en sépia. Lorsqu’ils sont dans la Zone, l’image retrouve ses couleurs.
Ce clash nous permet à la fois d’être émerveillés par la beauté de ce territoire austère, mais aussi de réaliser que leur quotidien devient de plus en plus ennuyeux. Ce choix réfléchi au niveau des couleurs peut aussi nous faire cogiter sur les instants de bonheur vécus par les protagonistes.
Le poète de l’image
Celui qui a obtenu le Lion d’or du meilleur film à Venise pour son tout premier long métrage, Ivan’s Childhood, s’est rapidement fait connaître comme étant l’un des réalisateurs soviétiques les plus influents au monde. S’il était différent en tous points de son prédécesseur russe très connu, Sergeï Eisenstein, Andreï Tarkovski a su montrer qu’il possédait un style irremplaçable.
Ce qui le distingue le plus des autres, c’est notamment son rapport au temps. Il possède d’ailleurs un écrit théorique qui s’intitule «Le Temps scellé». Pour la cinéaste, le temps est l’essence même du cinéma. Cette forme d’art permet de le travailler comme bon lui semble. En opposition, Eisenstein voyait le septième art comme une synthèse des formes d’art (le montage lui permettant ainsi d’assembler et d’associer). Tarkovski, lui, y voit une création et un façonnement du temps qu’aucune autre forme d’art ne permet.
Même si ses œuvres sont très esthétiques (par le cadrage et les mouvements, notamment), Tarkovski croit à un cinéma incarné. C’est ce qu’il appelle son temps factuel (reconnaître le passage du temps sur différents objets). Selon lui, c’est le temps qui manie les êtres et qui les rend vivants.
Dans Stalker, plusieurs objets vivent ces passages temporels. Marqués par la rouille ou ternis par la lumière, ces articles portent la trace des heures qui passent. Les hommes qui visitent cette Zone à la recherche d’un bonheur absolu deviennent à leur tour des bibelots manipulés par le temps. Par ses ruines, la Zone en elle-même est l’exemple primordial de l’écoulement du temps.
Le rapport au temps dans le travail de Tarkovski est ce qui lui donne toute son unicité. S’il s’inspire de – très – grands cinéastes comme Ingmar Bergman, il réussit aussi à s’en défaire et à prouver qu’il peut faire vivre une œuvre en filmant avec une sensibilité et une douceur bien propres à lui.
Pour consulter nos précédentes chroniques «Zoom sur un classique» et ainsi avoir votre dose bi-hebdomadaire de septième art, suivez le labibleurbaine.com/Zoom-sur-un-classique.
«Stalker» d'Andrei Tarkovski en images
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