CinémaZoom sur un classique
Crédit photo : Photo à la une: image tirée de l'oeuvre «Pierrot le Fou» de Jean-Luc Godard
Pierrot le Fou, c’est le héros du film, mais il ne s’appelle pas Pierrot; il s’appelle Ferdinand Griffon. C’est du moins ce qu’il répète sans cesse à Marianne, qui l’appelle toujours Pierrot pour le taquiner. Pierrot le Fou, le film, raconte quant à lui l’histoire folle d’un couple en cavale dans le sud de la France, en quête d’amour et de liberté.
Ferdinand (Jean-Paul Belmondo), qui nous apparaît au début du film en bon bourgeois parisien, cultivé, marié et père de famille, quitte sa vie mondaine pour fuir avec Marianne (Anna Karina), la jeune gardienne de sa fille. Alors que le couple a connu une courte aventure cinq ans plus tôt, ils ont décidé maintenant d’aller au bout de leur désir.
Au fil de leurs aventures rocambolesques, on apprend notamment que Marianne est pourchassée par deux criminels, et qu’ils ont fait exploser leur voiture contenant tout leur argent. Le récit est raconté de manière rapide; leur quête est littéralement explosive, dangereuse, romantique et poétique.
Un éternel succès critique et populaire
Pierrot le Fou est certainement l’un des films ayant le mieux passé l’épreuve du temps. On le constate notamment dans toutes les citations qu’on en a fait dans la culture populaire, ainsi que dans le travail de nombreux réalisateurs qui, parfois bien malgré eux, ont repris des éléments stylistiques qui composent l’oeuvre de Jean-Luc Godard, comme Quentin Tarantino ou Xavier Dolan par exemple.
Ce road movie de Godard a connu un grand succès critique et populaire. L’année de sa sortie, il a dépassé le million d’entrées en France! Rare exploit pour une œuvre à la mise en scène aussi expérimentale. Le succès de ce film réside très certainement au niveau de sa place de choix au sein du courant de la Nouvelle Vague française, mais aussi grâce à un concours de circonstances presque parfait entourant sa production.
Une œuvre phare à la fois dans ses expérimentations formelles et son récit
Tel qu’on en a déjà discuté dans notre chronique sur le film À bout de souffle, la Nouvelle Vague française est l’un des courants les plus étudiés et influents de toute l’histoire du cinéma mondial. S’il y a bien un film qui incarne avec brio toute la désinvolture et le dynamisme que représentait ce mouvement dans ses débuts, c’est-à-dire durant les années 1950 à 1960, c’est bien Pierrot le Fou.
Fer de lance du mouvement, Jean-Luc Godard est ici au sommet de son art. Il renforce sa signature esthétique, laquelle est marquée par une approche symbolique des couleurs, par la non-synchronisation des images et du son, et par la théâtralité de sa mise en scène.
En effet, on remarque dans Pierrot le Fou la forte présence symbolique des bleus et des rouges, fidèle au «style godardien», ainsi qu’une approche très pop de l’éclairage. Tantôt, le cinéaste utilise des filtres de couleur, tantôt il utilise des éclairages fortement colorés et assumés lors des scènes de nuit (voir la galerie de photos ci-dessous), bref, Godard crée, avec ce long métrage, un univers qui s’apparente à celui de la bande dessinée (d’ailleurs, Ferdinand en lit!) qui s’éloigne d’un souci de réalisme.
C’est un film sur la peinture… Au début, mon propos était le même qu’un peintre. – Jean Luc-Godard
Cette idée du réalisateur, combinée aux nombreuses références à l’histoire de l’art qui ponctuent le film (l’utilisation des peintures de Renoir et de Picasso est particulièrement évocatrice), rend bien ici toute la force poétique et visuelle du film. Propre au cinéma de la Nouvelle Vague, Godard cite d’autres auteurs et se les approprie merveilleusement.
Toute la fougue de la Nouvelle Vague est aussi, bien sûr, incarnée par les personnages du film. Ferdinand et Marianne, joués avec aplomb par les acteurs Jean-Paul Belmondo et Anna Karina, évoluent dans le récit tels de jeunes rebelles, intelligents mais naïfs, amoureux mais dangereux.
Un véritable monument du cinéma français
Pierrot le Fou a su jouir d’un contexte de production particulièrement favorable pour sa pérennité. On y reconnait là toute l’intelligence du cinéma français de l’époque. D’une part, Anna Karina, épouse de Jean-Luc Godard, et Jean-Paul Belmondo, étaient bien sûr deux des acteurs les plus populaires de leur époque. D’autre part, le travail du son, fruit de la collaboration de Godard avec le compositeur Serge Rezvani, est tout simplement remarquable.
Si on est séduit par tout le dynamisme de l’expérimentation et la non-synchronisation du son dans le film, on aime aussi les chansons qu’on peut y retrouver. En effet, Jean-Luc Godard trompe souvent les attentes du spectateur en coupant parfois drastiquement certains effets musicaux. Et encore, Pierrot le Fou surprend aussi le spectateur lorsque ses personnages se mettent à chanter, un peu à la manière d’une comédie musicale, de jolies chansons d’amour!
«Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours», une composition de Rezvani, est l’un des plus charmants moments du film lorsqu’elle est chantée par Anna Karina. Ingénieuse initiative de Godard que celle de s’associer à ce compositeur ayant écrit des chansons des plus grands classiques du cinéma français, dont Jules et Jim.
On reconnait donc, dans Pierrot le Fou, la signature esthétique gagnante de son réalisateur ainsi que tous les éléments du cinéma de la Nouvelle Vague mis à profit dans un récit dynamique et audacieux. Ce grand classique de Godard brille encore aujourd’hui par l’intelligence avec laquelle ce dernier s’est approprié tous les dispositifs du cinéma afin de créer une œuvre spécifique à ce médium.
Pour consulter nos précédentes chroniques «Zoom sur un classique» et ainsi avoir votre dose bihebdomadaire de septième art, suivez le labibleurbaine.com/Zoom-sur-un-classique.
«Pierrot le Fou» de Jean-Luc Godard en images
Par «Pierrot le Fou» de Jean-Luc Godard en images @ Tous droits réservés