CinémaZoom sur un classique
Crédit photo : Tout droits réservés
Sur les traces des glaneurs
D’après la définition que l’on trouve dans le dictionnaire, glaner signifierait «recueillir les épis de blé restés sur le champ après le passage des moissonneurs», et c’est ce qui constitue la prémisse de ce long-métrage documentaire. Mais ce n’est pas tout: Agnès Varda pousse encore plus loin en levant le voile sur une analyse du chef d’oeuvre du peintre Jean-François Millet, Les glaneuses, où elle s’engage à s’instruire sur cette pratique et où elle souhaite aller à la rencontre de ceux qui visent à réduire le gaspillage alimentaire et à renforcer la bonne habitude du recyclage.
C’est donc équipée de sa petite caméra numérique et fin prête à parcourir la France que Varda filme tout ce qu’elle voit! Une toute petite équipe de tournage la suit, mais sa caméra numérique est collée à sa main et elle filme ce qui lui plait, indépendamment. Elle s’intéresse à tout (même aux gros camions sur la route!) et partage ses pensées improvisées. Elle n’hésite pas à encourager les (très) différents styles de vie de ceux qu’elle rencontre, tout en critiquant ceux qui manifestent du dégoût face au glanage. Pour la réalisatrice, cette activité ne s’arrête pas à l’acte de ramasser des aliments comestibles. Elle souhaite, avec ce film, explorer aussi les univers de ceux qui récoltent tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin.
Les glaneurs et la glaneuse, c’est ainsi le voyage d’une femme qui est ouverte à toutes sortes de rencontres et qui fait connaître la France et ses habitants.
Un rythme équilibré
Dans ce documentaire, le spectateur part à la découverte de nombreux lieux et paysages. Varda et sa petite équipe de tournage se déplacent beaucoup et, au montage, elle réussit à bien équilibrer le tout. En effet, pour transiter entre les séquences, la cinéaste glisse des fragments d’histoire sur l’origine du glanage, ou bien présente des chefs-d’oeuvre artistiques qui témoignent de différentes époques. Par exemple, au tout début de l’oeuvre, elle visite le Musée d’Orsay, où elle s’attarde sur Les glaneuses de Millet. Elle explique alors au spectateur que ce tableau est, en quelque sorte, le point de départ de son oeuvre.
Passionnée des beaux-arts, la réalisatrice n’hésitera pas à faire des liens avec différentes oeuvres qui l’ont marquée pour ce projet documentaire.
Chacune des séquences est parsemée de moments où la Parisienne d’adoption s’immisce dans la trame narrative de son oeuvre pour présenter des bribes de sa vie personnelle. Elle filme ce qu’elle souhaite: ses mains, le plafond de son logement à Paris, ses chats, ou tout simplement des pommes de terre en forme de coeur. Tout en commentant ces plans, la réalisatrice montre qu’elle est, elle-même, une glaneuse d’images!
Cet aspect du montage dynamise l’oeuvre, et cela contribue à personnaliser celle-ci. La réalisatrice devient alors omniprésente au sein de sa production, mais elle sait aussi laisser la place à ses interlocuteurs lorsque ceux-ci lui communiquent tout leur amour du glanage.
Pas seulement dans les champs, le glanage!
À première vue, cette activité est pratiquée uniquement dans les champs où on récolte les légumes ou les fruits laissés par les maraîchers ou les producteurs, mais Agnès Varda dépasse ce cadre agricole. Elle va dans la rue à la rencontre de ceux qui glanent dans les poubelles et les questionnent sur ces choix de vie pour le moins particuliers. Elle s’intéresse aussi à ceux qui collectionnent différentes babioles et leur demande de raconter leur histoire.
Ses interventions auprès de ces personnes ne s’arrêtent pas au simple fait de les questionner sur le glanage. La cinéaste française souhaite comprendre les impacts qu’a ce mode de vie sur eux. Certains l’invitent à visiter leur maisonnée et à passer du temps à échanger sur leurs différentes réalités. D’autres s’ouvrent sur leur vie et sur leurs problèmes. La réalisatrice présente tous ces témoignages sans aucun jugement. Et c’est précisément la force de son long-métrage.
Une cinéaste d’une humanité incomparable
Les cinéphiles n’ont pas besoin d’une présentation: Varda est reconnue dans tous les pays (et d’ailleurs, nous avons déjà abordé l’une de ses plus grandes oeuvres, Cléo de 5 à 7, dans une précédente chronique, si cela vous intéresse!) Référence incontournable du cinéma français de la Nouvelle Vague française, réalisatrice de documentaires et pionnière du cinéma féministe contemporain, Varda nous a prouvé de nombreuses fois qu’elle peut toucher à tout, et ce, en apposant sa signature unique. Dans Les glaneurs et la glaneuse, la cinéaste aux cheveux rouges garde son coeur d’enfant, manifeste son désir d’apprendre et est émerveillée par tout.
Cette oeuvre unique de la figure de proue féminine de la Nouvelle Vague française n’est peut-être pas pour tout le monde, puisque certains trouveront la personnalité de la cinéaste un peu trop extravertie. En effet, le moindre détail peut la faire dérailler, mais pour d’autres cinéphiles, ce sont précisément ces éléments qui rendent ce film si passionnant. Par exemple, lorsqu’elle est sur la route, elle filme son passe-temps, qui est de «capturer» des camions entre ses doigts, entre autres. Ces éléments certes «loufoques» viennent casser un peu le ton de l’oeuvre; mais c’est ce qui en fait une production si personnelle. Si vous vous sentez prêts à découvrir son univers, Les glaneurs et la glaneuse est une excellente porte d’entrée.
Et, si vous tombez en amour avec le style de la réalisatrice française, ce film vous suivra toute votre vie. Il s’agit d’une oeuvre phare de la filmographie de Varda, une oeuvre où elle fait réfléchir son public. Par sa gentillesse et sa curiosité, elle permet à tous de découvrir ces personnes qui glanent dans l’ombre. Par la même occasion, elle livre ici un message fort sur le gaspillage et la surconsommation.
Vingt ans après sa sortie, le film est toujours d’actualité puisqu’il aborde, grâce aux échanges entre les intervenants, le sujet délicat de la protection de l’environnement ainsi que le problème mondial de la surconsommation. Le documentaire n’assume pas entièrement sa prise de position quant à ces aspects, puisque l’objectif de la réalisatrice est avant tout de faire connaître la pratique du glanage de manière générale, sans évoquer l’environnement de manière directe. Cependant, de nombreuses réflexions nous viennent à l’esprit suite au visionnement de cette oeuvre. Et nous en ressortons d’ailleurs avec une seule envie: être meilleur!
Pour lire tous nos articles de la série «Zoom sur un classique», rendez-vous ici.
«Les glaneurs et la glaneuse» d'Agnès Varda en images
Par Tous droits réservés