«Yves Saint Laurent» au cinéma – Bible urbaine

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«Yves Saint Laurent» au cinéma

«Yves Saint Laurent» au cinéma

Splendeur et travers d’un petit séminariste de génie

Publié le 15 août 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Les Films Séville

Yves Saint Laurent était certainement un être peu banal. Mais il était surtout authentique, bien loin de la fabrication de son propre personnage. D’une timidité quasi maladive, il a su très jeune canaliser son immense talent. Sa façon de l’exprimer l’a propulsé à 21 ans à la direction artistique de la maison Dior. «Heureux deux fois par année, au printemps et à l’automne», l’homme ne vivait que pour sa création.

On pourrait dire la même chose de son interprète, Pierre Niney (Les émotifs anonymes): admis à la Comédie française également à l’âge tendre de 21 ans, le jeune acteur est entré dans la peau du grand couturier sans chercher la composition ni les effets. Le résultat n’est pas simplement crédible, il est prodigieusement saisissant de vérité. Distingué, altier, il parle en murmurant, joue de regards furtifs. Et pourtant, rien ne détonne ni n’étonne lorsque le personnage affirme sa vision. Lorsque sa meilleure amie, mannequin et muse Victoire (Charlotte Le Bon, très juste) se raccourcira les cheveux sans l’en prévenir, YSL lui balancera «Tu n’es belle que sophistiquée».

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Incarnant Pierre Bergé, Guillaume Gallienne (Les garçons et Guillaume, à table) est un vis-à-vis d’un calibre tout aussi élevé. Compagnons de vie et partenaires en affaires, YSL et Bergé avaient une sorte d’entente par laquelle le second veillerait à ce que le premier puisse toujours continuer à créer. Dans la gloire de la robe Mondrian comme dans la déchéance des épisodes psychotiques et des abus de consommation, Bergé l’a toujours soutenu. S’il a dû éloigner certaines influences néfastes pour le protéger, c’est quand même par jalousie qu’il provoqua la rupture entre YSL et Victoire en la baisant. «Je n’ai peut-être pas de principe, mais je n’ai qu’une parole», dira-il.

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Jalil Lespert (Des vents contraires), qui réalise et collabore au scénario, navigue avec doigté entre l’histoire publique et l’histoire intime du créateur, du reste difficiles à isoler l’une de l’autre. Captant constamment les regards amoureux que jette Pierre à Yves, le réalisateur rend cette histoire aussi attachante que passionnante. Sachant prendre juste ce qu’il faut de distance avec les faits pour mieux en restituer les impressions et les contextes, il brosse aussi un tableau évocateur de deux décennies où tout s’est transformé, de 1957 à 1976.

Si Saint Laurent a pu révolutionner la mode comme il l’a fait, c’est aussi parce qu’il est apparu exactement au bon moment. Il est frappant de constater le décalage entre son premier défilé Dior dans un petit salon d’aristocrates, à la manière des récitals du XIXe siècle, voire des causeries du XVIIIe, et l’événement de la célèbre collection des Ballets russes moins de vingt ans plus tard. Véritable apothéose tant pour la carrière d’YSL que pour le film, ce défilé semble tout droit sorti de l’imagination d’un scénariste: le retour d’un homme affaibli et prématurément vieilli qui a tout donné à sa collection, la splendeur des créations, la voix de Maria Callas et la réconciliation avec l’amour de sa vie. Pourtant, cela s’est réellement passé. C’est ainsi qu’une star devient une légende, par son talent et l’improbable conjonction des événements.

Reflet de l’admiration qu’il porte aux êtres tenaces tant dans l’amour que dans la concrétisation de leurs passions, le film de Lespert est un portrait peut-être flatteur, mais non complaisant qui sait s’arrêter au bon moment.

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