Transposer le roman «Au bonheur des ogres» de Daniel Pennac au cinéma – Bible urbaine

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Transposer le roman «Au bonheur des ogres» de Daniel Pennac au cinéma

Transposer le roman «Au bonheur des ogres» de Daniel Pennac au cinéma

Projet casse-cou, fantaisie réussie

Publié le 21 février 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Pathé distribution

Plus de vingt-cinq ans après la parution du premier volet de la série à succès des Malaussène, nous arrive une adaptation cinématographique enlevante et réjouissante de cette histoire rocambolesque imaginée par Daniel Pennac. Ayant en poche une matière première foisonnante, le réalisateur Nicolas Bary a eu le talent de s’en écarter juste ce qu’il faut pour offrir une œuvre autonome et bien ficelée, tout en recréant avec brio l’atmosphère tant aimée des livres.

Si la célèbre tribu de Belleville ne s’était encore jamais incarnée à l’écran, ce n’est pas faute d’intérêt de la part de la communauté cinématographique. Les scénarios proposés n’avaient tout simplement pas eu l’heur de convaincre l’auteur, qui est de ceux qui croient que pour réussir un film, il faut un peu trahir le livre qui l’inspire. Le projet de Bary a séduit Pennac par son écriture visuelle, sa façon personnelle et originale de mettre en images. Et il a vu juste en acceptant, car séduits, nous le sommes aussi. Dès la séquence d’ouverture où la caméra nous entraîne dans le tourbillon d’un grand magasin bourdonnant à l’approche du temps des Fêtes, le ton est donné et la connexion se fait avec le climat de brouhaha permanent qui règne dans le livre.

Les tribulations du clan Malaussène se sont d’ailleurs tellement imprégnées, au fil du temps, comme une longue histoire impossible, une saga sur le mode comique, qu’on en oublie presque la première trame narrative d’Au bonheur des ogres: une intrigue à propos de bombes qui explosent au milieu des marchandises au magasin où travaille Benjamin, l’aîné de la famille (Raphaël Personnaz). Officiellement contrôleur technique, Benjamin se retrouve, en bon bouc émissaire qu’il est réellement, principal suspect dans cette affaire. Grâce à l’aide d’une jolie journaliste (Bérénice Bejo), moins naïve que lui et pour qui il a le coup de foudre, il réussira à démasquer le coupable. C’est en centrant son récit sur cette trame, qu’il revisite pour la resserrer, que Bary remporte son pari audacieux. Il évite en effet le piège de vouloir tout reproduire du loufoque des situations dans lesquelles la famille s’embourbe, mais l’évoque par quelques scènes qui, tout en étant utiles à l’intrigue, restituent la truculence et le sens de la répartie des personnages.

Si Bary a pris quelques libertés quant au scénario, il reste en revanche fidèle à l’original du point de vue de la définition des personnages principaux et, surtout, du casting. Incarnant Benjamin, Raphaël Personnaz fait bien le travail avec ses yeux de chien battu, sa légèreté dans le mouvement et son ton doucereux. Dans le rôle de Tante Julia, Bérénice Bejo correspond tout à fait à la belle délurée dont on se demande comment il se fait qu’elle s’intéresse à un hurluberlu tel que Benjamin. Comme dans le livre, ce pairage décalé demeure inexpliqué, mais le couac fait partie du charme. Emir Kusturica donne la gravité qu’il faut à Stojil; le reste de la distribution est à l’avenant, avec, en prime, une apparition surprise et judicieuse d’Isabelle Huppert.

Tourné en partie dans le mythique édifice de La Samaritaine à Paris, le film réussit également dans la délicate tâche d’actualiser une histoire inventée dans les années 1980. La réalisation a eu le bon sens de ne pas appuyer outre-mesure sur ce décalage ni de tout passer à la moulinette du téléphone intelligent. Nous sommes ailleurs, dans un flou temporel où l’esthétique contrastée aux allures quasi bédéesques mélange les époques et brouille parfois les références.

«Il faut avoir beaucoup souffert pour trouver le réconfort dans le cynisme, vous pensez pas?» Si le film est truffé de répliques plus savoureuses les unes que les autres, c’est sans doute celle-là qui résume le mieux la posture du trio que forment le personnage principal, l’auteur et le réalisateur. Sans être une œuvre essentielle, Au bonheur des ogres est à placer dans une catégorie de cinéma que l’on pourrait appeler de l’indulgence. Du divertissement, certes, mais pas complaisant. Indulgent.

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