«The Butler» de Lee Daniels – Bible urbaine

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«The Butler» de Lee Daniels

«The Butler» de Lee Daniels

La révolution tranquille du cireur de souliers

Publié le 11 septembre 2013 par Ariane Thibault-Vanasse

Crédit photo : Alliance Vivafilm

Cecil Gaines se délecte de poulet frit et de soirées bien arrosées entre amis. Il aime aussi passionnément sa femme qui danse de tout son corps. Ses deux garçons sont sa fierté et son miroir. Gaines idéalise les chaussures qu’il cire et s’avilit en servant le thé dans les règles de l’art aux huit présidents américains qu’il a côtoyés. Travaillant à la Maison-Blanche pendant plus de 35 ans, il témoigne néanmoins des plus grandes décisions politiques du 20e siècle. Il est le Butler, en français Le majordome, protagoniste principal d’un film correct au message d’une grande envergure.

Écrit par Danny Strong (primé auparavant pour le scénario de la minisérie Game Change) et réalisé par Lee Daniels, The Butler s’inspire de l’histoire d’Eugene Allen qui a lui-même oeuvré comme majordome à la Maison-Blanche pendant 34 ans. Dans l’œuvre cinématographique, c’est le géant Forest Whitaker qui incarne l’alias d’Allen, Cecil Gaines. Enfant esclave à ses débuts, il a été pris en charge par la maîtresse de la maison, Annabeth Westfall du champ de coton dans lequel son père s’est fait assassiné (une trop brève apparition de Vanessa Redgrave). Souvenir d’enfance qui le hantera toute sa vie, tel un tison. Cette dernière lui apprendra les rudiments du service et de l’hôtellerie. Ses leçons le mèneront jusqu’au sommet de Washington D.C.

Lee Daniels se fait la voix des Noirs aux États-Unis pour une seconde fois. Après l’histoire déchirante de Precious Jones dans le film du même nom, le réalisateur braque sa caméra sur une génération de jeunes militants exténués de se faire humilier et assimiler dans un moule où ils ne peuvent se fondre. The Butler s’inscrit dans une vague de films qui dénoncent l’esclavagisme comme l’irrévérencieux Django Unchained de Tarantino ou le très attendu 12 Years a Slave de Steve McQueen. Quand le plus haut taux de chômage aux États-Unis appartient encore aux Noirs, c’est que les inégalités se font encore sentir. Le profilage racial demeure une réalité qui pourrait s’enrayer doucement par des films comme The Butler. L’espoir et l’optimisme sont de mise pour ne pas sombrer dans le nihilisme d’un sans issues.

Comme pour le film Precious, Daniels étonne avec une distribution audacieuse qui comporte une macédoine d’acteurs. On ne peut passer sous silence la performance tout en nuance de Forest Whitaker dans le rôle-titre. Celui qui a déjà mis la main sur une statuette dorée au Academy Awards pour The Last King of Scotland (2006) joue ce majordome discret qui pratique son métier avec un amour indéfinissable pour les détails. La grande surprise réside néanmoins en la performance d’Oprah Winfrey qui se mérite le titre de femme la plus polyvalente du monde. D’une ressemblance frappante avec l’actrice Viola Davis, Winfrey se met à nu en l’épouse de Cecil Gaines. Elle regorge de volupté même sans sa perruque. Une performance magistrale! Même Lenny Kravitz est de la partie en collègue de Gaines. Choix intéressant, mais dont le rôle ne supplante en aucun cas la personnalité et le petit côté arrogant du chanteur. Les personnages secondaires manquent toutefois de corps malgré leur potentiel. Mariah Carey qui a ébloui dans Precious pose et fait la belle dans la peau de la mère violée et traumatisée du jeune Cecil… Le talent était éphémère.

Le scénariste Danny Strong dépeint une fresque politique des États-Unis et expose avec brio le grand paradoxe qu’est l’American Dream, promesse d’un grand élitisme. Les présidents qui se suivent, mais qui ne se ressemblent pas, font échos aux évènements sociopolitiques de cette Amérique prise au piège entre les traditions et la modernité, entre préjugés et conformisme. Alors que Cecil Gaines semble se contenter de sa position (même si son salaire est inférieur à celui des autres travailleurs blancs de la Maison-Blanche et qu’il n’a aucune possibilité de promotion), son fils aîné, Louis, découvre l’importance de s’élever et de s’indigner parmi les Rosa Parks et Martin Luther King afin de défendre sa place au sein d’un pays. Il ne s’assujettira pas comme son père. Ou du moins, c’est ce qu’il pense. L’esclavage peut prendre la forme d’un opuscule révolutionnaire et la liberté peut être obtenue par l’infiltration passive. Daniels lance ce débat et s’interroge sur les mouvements de révolte et des différentes manières d’en faire partie.

À travers un filtre jaunâtre, The Butler retrace l’ambiance, les odeurs, la fierté et les batailles de la communauté afro-américaine des années 60. Sans une trop pleine utilisation du pathos et d’un classicisme s’apparentant à un montage trop convenu, ce quatrième opus de Daniels aurait pu être un film d’une beauté féroce, vestige de son temps pour les années à venir. Il n’en reste pas moins une bonne leçon d’histoire. Misons que les férues d’Obama, et même les grands libertariens de toutes convictions confondues, se retrouveront dans la détermination de ceux qui ont gagné une meilleure place aux États-Unis et qui ont élu un président noir au pays des milles polarités.

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