«Poulet aux prunes» de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud: vie et mort d’un violoniste – Bible urbaine

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«Poulet aux prunes» de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud: vie et mort d’un violoniste

«Poulet aux prunes» de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud: vie et mort d’un violoniste

Publié le 6 juin 2012 par Annabelle Moreau

Après Persepolis en 2007, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud s’associent à nouveau pour concocter une œuvre cinématographique d’une rare beauté et intensité. Les deux bédéistes s’allient cette fois les services d’une ribambelle d’acteurs incroyables, mais ne délaissent pas pour autant l’onirisme du neuvième art dans leur production filmique.

Poulet aux prunes, quel titre intriguant. Le second long métrage des créateurs de Persepolis n’a cependant rien de la chronique culinaire, mais puise plutôt à nouveau dans l’histoire familiale de Marjane Satrapi, dessinatrice d’origine iranienne résidant en France depuis 1994.

Cette fois, c’est l’histoire du frère de son grand-père, l’un des plus célèbres musiciens iraniens de son époque. À Téhéran, en 1958, Nasser Ali Khan (Mathieu Amalric, écorché vif) décide de se laisser mourir, car il n’éprouve plus de plaisir à jouer de son violon. Cette dégringolade inéluctable vers l’au-delà prend à l’écran la forme des 7 derniers jours sur terre de ce musicien éploré et par l’évocation de ses souvenirs, entre passé, présent et futur.

«Il y avait quelqu’un, il n’y avait personne. Ainsi commence les contes persans», annonce d’emblée la narration. Au passage, c’est l’histoire d’un homme brisé par un amour non consommé, d’un mariage avec une femme qu’il n’aime pas (Maria de Medeiros, complexe) et d’un destin artistique fracassé contre les vents et les marées de la vie.

De la BD au ciné

Poulet aux prunes est adapté d’un ouvrage de Satrapi et pour lequel elle avait remporté le prix du meilleur album au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2005. Son adaptation cinématographique est hybride: à la frontière du réel et du rêvé, de la bande dessinée et du cinéma d’animation, de la comédie et la tragédie. Les influences multiples s’attirent et se combinent ici à la perfection.

Le résultat est surréel et les influences expressionnistes nombreuses. Le spectateur ne peut en ressortir que médusé, comme au sortir d’un rêve. C’est la combinaison de différentes formes et modes narratifs (animation, flash-back, retour dans le futur) qui permet au film de créer ses propres références, à l’instar de la biographie fantastique Gainsbourg, vie héroïque, film sorti en 2010, réalisé par autre bédéiste, Joann Sfar.

«On a tous les deux une foi absolue dans le cinéma comme moyen d’explorer l’imaginaire et l’esthétisme, raconte Satrapi à propos de son travail avec Vincent Parronnaud. Le réalisme ne nous intéresse pas beaucoup. Quand on a envie de raconter une histoire, on a tous les deux besoins d’aller au-delà, de dépasser cette réalité-là… Pour nous, le cinéma tient du rêve, du glamour, de la fantaisie. Cela vient des films qu’on a aimés, qui ont nourri notre imaginaire – que ce soit Le magicien d’Oz, l’expressionnisme allemand, Hitchcock ou Fellini…»

Sortir le monde d’un violon

Le violon brisé de Nasser Ali Khan est un prétexte pour raconter une histoire plus grande encore: celle de l’art et de l’amour, de la vie et de la mort, bref du monde avec ses moments d’intense bonheur et ses périodes de grande tristesse. Film très théâtralisé, Poulet aux prunes, invente des personnages plus grands que nature, interprétées par des acteurs plus grands que nature.

Édouard Baer est Azraël, l’ange de la mort, Jamel Debbouze est un prophète mystique et un commerçant fantasque, Isabella Rossellini n’est rien de moins que la mère de Nasser Ali, Chiara Mastroianni est sublime en fille du musicien devenue adulte, et la liste est longue, sans oublier la présence de Mathieu Amalric et Maria de Medeiros dont les interprétations sont tout simplement époustouflantes.

Si le cinéma pouvait être chaque fois la représentation rêvée d’un monde imaginaire, comme c’est le cas avec Poulet aux prunes, des petites choses qui font les grandes, tous les films seraient des classiques instantanés et tous les violons du monde ne pourraient changer leurs louanges d’une manière aussi belle.

Poulet aux prunes prend l’affiche le 8 juin.

Appréciation: ****

Crédit photo: Alliance Vivafilm

Écrit par: Annabelle Moreau

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