CinémaCritiques de films
Crédit photo : www.facebook.com/OuvrirLaVoix
Il aura fallu plus de trois ans à sa réalisatrice, Amandine Gay, pour réunir tous les soutiens nécessaires à l’accouchement de ce film indispensable auquel les institutions ont fermé leurs portes sous prétexte qu’il s’adressait à une «niche» de spectateurs trop réduite.
C’est finalement grâce au financement participatif et à la présence d’un public toujours plus nombreux et curieux lors de projections en festivals que ce projet – pas si fou – a pu enfin bénéficier d’une sortie nationale en France en octobre 2017. Depuis, ces témoignages crus de jeunes femmes noires aux prises avec un racisme systémique depuis leur naissance bouleversent les lignes et réveillent les esprits endormis par le mensonge d’une Europe de la diversité et du métissage. Oui, il est encore et toujours difficile de vivre en tant que Noire dans l’Occident développé (et fier de l’être) de 2017.
«On ne peut pas oublier qu’on est Noire»
Comment vivre dans un monde de Blancs quand elles sont sans cesse ramenées à leur couleur de peau? Avec une lucidité affreusement violente, vingt-quatre femmes se confient à la caméra pour construire le témoignage inédit d’une réalité cruelle et rétrograde, où l’on refuse aux enfants noirs l’accès aux études supérieures et où l’on attend d’eux qu’ils se fondent dans la masse sans faire de vague. Elles expliquent comment, très jeunes, elles ont intégré «l’image que l’autre se fait du Noir» et comment elles ont lutté pour échapper aux clichés qui leur collaient à la peau.
«Le Noir est lent», «le Noir est sale», «le Noir est fainéant»… Alors, elles ont travaillé plus fort, plus vite, elles ont lissé leurs cheveux et ravalé leur fierté. Elles ont respecté les règles du jeu des Blancs: «Quand tu cherches un appart, tu te déguises; quand tu cherches un boulot, tu te déguises». Si on avait encore des doutes, le constat est clair: la ségrégation moderne à la sauce postcoloniale court toujours, sournoise et haineuse, dévorant l’utopie naïve d’un monde où tout un chacun pourrait profiter du «privilège de l’innocence de sa couleur de peau».
Un double handicap
En plus d’être nées noires, elles sont nées femmes. Pas de chance décidément. Avec pudeur et simplicité, elles posent des mots sur leur rapport à la féminité et à la sexualité sur une construction de soi empêchée par le regard des autres et l’absence assourdissante de modèles auxquels s’identifier. Comme toutes les petites filles, elles ont grandi avec Barbie, les princesses Disney et les stars de cinéma sur papier glacé comme principales références. Comme toutes les petites filles, elles se rêvaient grandes, fines, blanches et blondes. Elles racontent la surprise de se découvrir différentes et la frustration d’être invisibles aux yeux de leurs amours d’école primaire.
Puis elles racontent le dégoût et la consternation quand, toutes jeunes femmes, elles sont devenues l’écran de projection de fantasmes dégoulinant de racisme primaire. Chassées par des «amoureux de l’Afrique» en mal de sensations fortes, courtisées par des fils de bonne famille blanche à la recherche de la transgression ultime, elles ne sont plus que des proies.
Exotiques, félines, sauvages. Les relents esclavagistes nauséabonds ne sont jamais très loin.
Là où le film pourrait s’arrêter à une réflexion afro-féministe, il va plus loin, et avec talent. La réalisatrice aborde, tour à tour, avec simplicité et décontraction, les tabous du communautarisme, de l’homosexualité, de la dépression et de la religion, libérant la parole et donnant à son projet une portée cathartique inattendue.
À entendre les murmures d’approbation et les salves applaudissements qui rythment la séance, on réalise à quel point le documentaire d’Amandine Gay est important. Une moitié de la salle exulte de joie face à la reconnaissance de leur expérience de vie quotidienne, l’autre moitié reste abasourdie, pétrifiée face à une réalité trop grotesque pour être vraie.
Ce film est l’occasion d’une rencontre, d’une rencontre entre le public et l’écran, mais aussi entre les deux moitiés de la salle. Il s’inscrit dans la lignée de Dear White People (Justin Simien), Moonlight (Barry Jenkins) et Get Out (Jason Peel) et impose un débat plus que vital dans la francophonie.
Enfin, et surtout, loin d’être un film communautaire, Ouvrir la voix est universel. Il panse les plaies tout en éveillant les consciences, s’adresse aux Noirs comme aux Blancs, aux femmes comme aux hommes.
L'événement en photos
Par www.facebook.com/OuvrirLaVoix
L'avis
de la rédaction