«Oldboy» de Spike Lee – Bible urbaine

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«Oldboy» de Spike Lee

«Oldboy» de Spike Lee

Enfermez-le quelqu'un!

Publié le 29 novembre 2013 par Jim Chartrand

Crédit photo : Les Films Séville

Après nous avoir prévenus des années en avance que le film coréen Oldboy aurait droit à sa version américaine, voilà qu'elle prend enfin l'affiche au Québec. Malheureusement, on a surtout hâte d'en oublier l'existence parce qu'il y a difficilement eu plus grand désastre ces derniers temps.

Depuis son passage à Cannes en 2004 où il a remporté le Grand Prix du Jury en plus de bénéficier de l’appui de Quentin Tarantino, le film de Park Chan-Wook est rapidement devenu culte pour de multiples raisons. Pastiché à de nombreuses reprises, son cercle d’admirateurs continue encore aujourd’hui de s’agrandir puisqu’il fascine continuellement les uns et les autres. Pourtant, si ce n’est jamais facile de s’attaquer à un classique, encore moins d’essayer de le refaire, Spike Lee sera parvenu en un temps record à en détruire toute l’aura. Bien sûr, on ne veut pas ramener de l’avant le débat sur la pertinence de nourrir l’industrie du remake, mais on plaint sérieusement ceux qui découvriront le phénomène Oldboy avec cette horrible version.

Parsemée d’embûches, l’adaptation n’a pas été tout repos. Les cinéastes et les acteurs ont changé à de maintes reprises, et on comprend sans mal leurs hésitations et leur refus de se lancer dans un projet aussi délicat. Par contre, on aurait préféré que cela fasse partie des projets abandonnés. Le problème ne réside pas tant du côté de la «copie», car à ce niveau-là on a osé explorer autre chose que le plan par plan ou le dialogue par dialogue, comme c’était le cas avec les films LOL, Funny Games ou plus récemment Starbuck. Seulement, ces nombreux changements et détails d’adaptation supposément bien liés à la réalité américaine (l’alcoolisme en tête de file) s’avèrent ultimement tous risibles et ridicules.

On tente de brouiller les pistes et on retire toutes profondeur ou réflexions, transformant l’oeuvre en quelque chose de terriblement superficiel. Bien sûr, le synopsis de base est là: un homme se fait séquestrer pendant plusieurs années et dispose de quelques jours pour en trouver le motif sous la pression d’une menace de taille. On a ici troqué les quinze années d’enfermement pour vingt, et la menace est ici la vie de sa fille qu’il a négligée jadis, mais qu’il a appris à aimer en la voyant grandir durant toutes ses années de solitude grâce au pouvoir de la télévision…

Puis rien ne va plus avec la suite de l’histoire. Les raccourcis sont ridicules, l’histoire ne fait ni queue ni tête, et les comédiens sont si mal dirigés qu’ils font des pieds et des mains pour essayer de s’en sortir avec le matériel qui leur est offert sans pour autant y parvenir. On aime régulièrement Josh Brolin, mais ici, il se demande sérieusement ce qu’il fait là. Même chose pour Elizabeth Olsen, laissée complètement à elle-même, visiblement perdue dans tout ce brouhaha.

De son côté, transformé en version bizarroïde et futuriste de lui-même (c’est quoi ce costume?), on comprend difficilement ce que vient faire Samuel L. Jackson dans toute cette histoire, si ce n’est d’être le contrepoids de l’affaire comme Spike Lee aime si bien le faire. Après tout, les références subjectives sont nombreuses (l’aide-serveur de couleur qui apparaît comme une hallucination) et à sa façon, le cinéaste fait des parallèles plus ou moins subtiles avec l’oppression des Noirs et même l’esclavage, tant qu’à y être. En guise de cerise sur le sundae, Sharlto Copley, qui était impitoyable dans le récent Elysium, est ici si ridicule qu’on ne peut que s’esclaffer à chacune de ses apparitions.

Provenant d’un manga, à la base, il y avait au-delà du scénario aussi ingénieux que remarquable une maîtrise technique mémorable que Park Chan-Wook exhibait dans son oeuvre. Le montage, la direction photo et bien d’autres détails de ce genre, comme la trame sonore hantée des divines compositions de Yeong-Wook Jo, ajoutaient au film une vision unique et une signature évidente de la part du cinéaste. Malheureusement, dans le cas de la version américaine, on retrouve une technique particulièrement ordinaire et impersonnelle, nous forçant à nous insurger davantage.

En plus, sans les copier intégralement, Spike Lee s’amuse à faire des clins d’oeil à l’oeuvre d’origine, ce qui nous fait regretter à nouveau l’existence d’une nouvelle version. Si les références à la pieuvre ou à la langue sont aux limites de l’acceptable, on se désole de ce qu’il a fait de l’inoubliable plan-séquence qu’il tente maladroitement de reproduire d’une façon complètement ratée. Scène clé de combat filmée en un seul plan, elle est ici tellement mal chorégraphiée, en plus d’être interprétée par des cascadeurs au jeu si mauvais, qu’on aura difficilement autant ri pour les mauvaises raisons au cinéma récemment.

Enfin, on pourrait sortir encore mille et une autres raisons pour attaquer ce long-métrage. Car en tant que film, il ne fonctionne pas, mais en termes d’adaptation, c’est encore pire. Toutefois, il est inutile de s’attarder sur quelque chose d’aussi superflu, puisque juste en existant, le long-métrage aura tôt fait de s’autodétruire de par lui-même. Franchement Spike Lee, il est sérieusement temps de penser à la retraite.

«Oldboy» a pris l’affiche en version originale anglaise seulement ce mercredi 27 novembre.

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