CinémaCritiques de films
Crédit photo : Les Films Séville
S’attaquer à un classique est toujours chose délicate et c’est d’autant plus alarmant lorsqu’on ose toucher à une œuvre aussi complexe et appréciée que L’écume des jours de Boris Vian. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec le bouquin, au-delà de l’histoire d’amour condamnée de Colin (Romain Duris) et Chloé (Audrey Tautou), il y a toute une virtuosité d’écriture qui prend place au fil des pages. Vian joue avec les mots, les expressions et les sens, tout en construisant un imaginaire dépassant le réel et le possible pour accoucher d’un véritable monument de la littérature.
Habitué des univers usant du réel pour basculer vers quelque chose de complètement bricolé, Gondry continue d’utiliser ses effets spéciaux faits maison pour multiplier habilement les trouvailles, afin de créer un festin qui est d’abord et avant tout visuel. Qu’on se le tienne pour dit, pendant deux heures, l’œil se régale. Avec les milliards d’effets qu’on ne s’explique que difficilement, on ne sait plus où donner de la tête, alors que l’inventivité fourmille dans chaque recoin et qu’à l’instar de Vian, on se permet de jouer avec les mots pour les imager des façons les plus tordues possible. Entre le théâtre et le cinéma, le cinéaste, en maîtrise exceptionnelle de ses moyens, fait usage des médiums pour les virer à son avantage et faire de la musique, des images et des couleurs ses alliés. La direction photo, sans trop en dire, joue d’ailleurs un rôle décisif dans la gradation (ou dégradation) du récit.
Aussi bien vous avertir tout de suite, malgré le côté très fantaisiste, rêveur et un tantinet superficiel de l’ensemble, tout comme la majorité des films de Gondry par ailleurs, le long-métrage profite de cette légèreté pour camoufler un sens beaucoup plus cruel et sombre, et c’est peut-être ce qui en surprendra plus d’un. Bien qu’il continue de décortiquer les relations humaines et de parler autant de la vie que de l’amour, Gondry aborde de plein fouet et pour la première fois la mort. Livrant son film le plus dur en carrière, on y suit une évolution dramatique magnifique qui est amenée avec subtilité par ses personnages qui se métamorphosent psychologiquement et physiquement dans cet univers de plus en plus étouffant.
D’un début créatif où la joie de vivre rayonne, on découvre ensuite l’amour pour vite l’emprisonner dans la maladie, laquelle prend possession sans avertir la jeune Chloé, en plein durant sa lune de miel, la poussant vers une fatalité inéluctable.
Il est dit que c’est l’une des plus belles histoires d’amour et… pourquoi pas! Vian, à travers la folie, a su faire ressurgir avec une lucidité implacable le subconscient et les émotions, tout en tissant une toile de personnages où tout est relié. Profitant d’une distribution de haut calibre qui donne le meilleur d’elle-même, on croit à tout ce qui se passe sous nos yeux. Romain Duris, Audrey Tautou, Vincent Rottiers, Omar Sy, Aïssa Maïga, Gad Elmaleh et Alain Chabat, notamment, parviennent tous à donner vie et nuance à leurs personnages, ajoutant à la complexité de l’ensemble.
Ainsi, Michel Gondry a réussi l’impossible. Il a adapté l’inadaptable. Avec Luc Bossi, il est parvenu à signer un scénario fonctionnel qui offre tout à la fois une vision du roman de Vian, tout en en conservant l’essence même du récit original. En voyant le film, on a presque l’impression de voir le livre prendre vie sous nos yeux. On a même par moments l’impression de mieux comprendre le message de Vian grâce au regard de Gondry, chose qu’on avait un peu de difficulté à réaliser avec la prose singulière de l’écrivain.
Michel Gondry ne livre peut-être pas son chef-d’œuvre, après tout il est difficile de récidiver avec quelque chose d’aussi solide que l’incomparable Eternal Sunshine of the Spotless Mind, mais il offre à nouveau un grand film. Avec un dernier acte aussi bouleversant que sublime, il crée un climat dramatique et dur qu’il avait jusqu’alors évité en s’enfuyant pratiquement toujours dans le rêve ou même la fantaisie (The Science of Sleep en livre probablement le meilleur exemple avec sa finale). En acceptant la fatalité et en épousant plus que jamais un désir d’immortalité (sans le dévoiler, le leitmotiv narratif qui livre un hommage énorme à l’œuvre de départ est d’un génie absolu), Gondry démontre ici que rien ne lui est impossible. Chapeau!
«L’écume des jours» prend l’affiche ce vendredi 28 juin.
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de la rédaction