CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
Le succès de leur premier court métrage auprès des festivals a encouragé les deux cinéastes à poursuivre leur recherche cinématographique, celle de révéler des problématiques de communautés isolées et les faire briller.
Ce plus récent long métrage documentaire agit comme un baume au cœur, grâce à ces longs plans méditatifs et sa musique apaisante. Les talents respectifs de Plante-Husaruk et Lacoste-Lebuis, qui ont porté pratiquement tous les chapeaux de la réalisation, resplendissent.
Au-delà des hautes vallées se déroule au Népal dans une région reculée de l’Himalaya. Nous suivons les villageois de Maikot, qui se préparent pour la récolte d’un mystérieux champignon aphrodisiaque valant plus que de l’or, le yarsagumba.
Plus précisément, nous suivons Lalita Gharti Magar, une jeune villageoise et mère de 22 ans, qui a dû abandonner ses rêves et ambitions en raison des pressions sociales venant avec ses responsabilités de jeune mariée.
Simple résultat d’un phénomène naturel, le yarsagumba ou champignon-chenille est devenu un point important dans la vie des Népalais. Le phénomène biologique se produit lorsqu’un champignon parasite et momifie la larve dans le sol. Un champignon pousse alors de la tête de l’insecte et dépasse du sol d’une hauteur de deux à six centimètres. Cette ressource chétive est prisée, entre autres, par les commerçants chinois pour ses propriétés aphrodisiaques et médicinales.
Les cinéastes m’ont confié qu’au départ, leur intérêt visait le côté commercial de la ressource et qu’il changea à la suite de leur rencontre avec Lalita.
Lalita Gharti Magar: une femme pleine de lumière
Alors que Maude Plante-Husaruk et Maxime Lacoste-Lebuis étaient sur place pour prendre des images et discuter avec des locaux, la jeune femme revenait du champ. Elle les a interpellés et les a invités chez elle. Un lien s’est rapidement formé entre eux.
Lors de cette entrevue, la jeune mère s’est livrée d’une façon touchante, personnelle. L’introspection dont elle a fait preuve se distinguait des éléments factuels quotidiens rapportés par les autres habitants du village.
La direction du documentaire s’est alors concrétisée: il fallait montrer l’humain derrière ce phénomène.
Lalita leur a partagé une réflexion sur sa vie, sur sa position en tant que femme dans le village, et sur ses aspirations par rapport au futur: «Nous avons tous notre propre histoire, nos propres problèmes, nos propres désirs, nos propres rêves. Mais pour la plupart d’entre nous, nos rêves ne deviendront jamais réalité.»
La ruée vaine vers l’or
Cette récolte annuelle est l’occasion inespérée pour un grand nombre de Népalais de gagner une somme considérable. Cet évènement culturel est régulé; entre autres, chaque région a son comité d’organisation, et une date d’ouverture de la récolte est imposée.
Maude et Maxime ont donc patienté un mois avant que celle-ci soit déclarée. Les conditions devaient être optimales: si la récolte s’avère trop hâtive, le parasite n’aura pas le temps de se propager.
Malgré toutes ces précautions, la ressource peut potentiellement disparaître. Les années précédentes, les cueilleurs en trouvaient plusieurs centaines par jour. La première journée, la récolte résultait au mieux de quelques dizaines. Ensuite, le quota a chuté drastiquement: pas plus que cinq par jour.
Les réalisateurs ont dû noter cette dure réalité: pour les villageois, c’est un problème. Plusieurs vivent à crédit durant l’année et misent sur une bonne récolte pour rembourser leurs dettes.
La disparité énorme entre les revenus du cueilleur, du marchand et du vendeur est l’un des éléments qui sautent le plus aux yeux durant le documentaire. Au camp, un des commerçants achète un champignon de bonne qualité pour 6 $ CAD. Alors qu’à Katmandou (capitale du Népal), la ressource sera vendue pour environ 20 000 $ CAD∕kilo. En Chine, les détaillants la vendent pour au-delà de 70 000 $ CAD∕kilo.
Pour les cinéastes, ce déséquilibre est emblématique de notre système économique. C’est la substance organique la plus chère au monde (dépendamment de la fluctuation des marchés). L’envers du décor est criant: ces gens fondent leurs espoirs dans une quête ridiculement injuste.
Maude a en a mûri une image on ne peut plus authentique:
«Il y a une métaphore intéressante à faire: ces chenilles-là sont envahies par le parasite, momifiées, tuées de l’intérieur. Elles ne deviendront jamais un papillon, ne vont jamais éclore…»
Un lieu de rencontres inoubliables
Les sourires percent parfois à travers cette grisaille. L’un des points positifs attribuables à ce phénomène est qu’il soit devenu une activité culturelle.
Dans le documentaire, un esprit communautaire, familial, amical est d’ailleurs visible: des commerçants font le voyage pour augmenter leurs ventes; il y a des mariages, des projections de films, des familles complètes se déplacent pour gagner une bonne somme d’argent. Aussi, des gens de différents villages font même des tournois de volleyball!
C’est un festival, en quelque sorte. De vraies relations se forment. Par exemple, c’est là que Lalita a rencontré son mari.
Les femmes cueilleuses
Le duo de réalisateurs cherchait une protagoniste femme à la base, parce que cette réalité amène des pistes de réflexion méconnues. Être mère à un jeune âge fait incomber plusieurs responsabilités et cela signe souvent l’arrêt des études.
La nécessité des besoins fondamentaux entre également en jeu; la mariée a le devoir de prendre soin de sa famille. L’unique solution viable pour celle-ci semble être l’émigration. Lalita en a bien conscience: «Ma priorité est maintenant l’éducation de ma fille ainsi qu’accomplir mes tâches quotidiennes, c’est tout. En travaillant au Népal, je ne peux pas garantir un meilleur avenir à ma fille. Aller à l’étranger serait notre seule option […]. Tout le monde porte une souffrance liée à ses propres expériences. Ses propres peines. Qui n’a jamais eu d’épreuves dans sa vie?»
«L’humain n’est pas étranger»
Maude Plante-Husaruk et Maxime Lacoste-Lebuis se sont livré personnellement à la jeune mère et à sa famille, son mari, sa petite. Ils ont échangé des photos. Et ils sont encore en contact (au moment du tournage, Lalita n’avait qu’un enfant et maintenant, elle en compte trois!)
L’expérience les a fait grandir, leur a ouvert les yeux sur bien des choses. Le documentaire exsude cette grandeur d’âme, mêlée à la petitesse de l’être humain.
Leur vision d’ensemble du mécanisme social et économique de la cueillette du yarsagumba est frappante de lucidité — le même modèle est omniprésent, avec ces personnes qui sont à la base de la production de ce qu’on consomme et mange. C’est toujours la même pyramide.
Nous suivons le quotidien de gens vivant dans un contexte différent du nôtre, mais dont les besoins fondamentaux sont les mêmes: se loger, se nourrir, avoir un toit, offrir une éducation à leurs enfants, vivre correctement avec une certaine forme de dignité, une sensation de liberté sociale, politique.
Je crois que ce sujet, traité avec sensibilité, seyait le grand cœur de ces cinéastes:
«Ça nous a beaucoup humanisés d’entrer en contact avec ces gens-là, avec qui on est encore en contact. Tu ne fais pas un documentaire sur des gens, tu fais un documentaire avec eux. C’est inévitable qu’un lien humain se crée, si ton intention est honnête. L’humain n’est pas étranger. Nos besoins et nos envies ne sont pas étrangers», m’a confié Maude Plante-Husaruk avant de conclure:
«Je crois que le documentaire est le pont à faire pour un public qui ressent le besoin de comprendre la réalité d’autrui. En fait, nous sommes beaucoup plus semblables que nous ne le pensons».