CinémaCritiques de films
Crédit photo : Les Films Séville
Après le film Carnage (2011), Roman Polanski récidive avec l’adaptation d’une pièce de théâtre, en huis clos de surcroît. L’histoire de la pièce de David Ives (qui collabore au scénario) est grandement inspirée du célèbre livre écrit en 1869 de Leopold von Sacher-Masoch La Vénus à la fourrure, qui illustre le fantasme du narrateur (alter ego de Sacher-Masoch) de se faire dominer et humilier à sa propre demande par celle à qui il voue un culte d’adoration, Wanda. L’adaptation cinématographique de Polanski présente une mise en abime de cette passion masochiste, terme ayant pour racine linguistique le nom Sacher-Masoch. Thomas, le metteur en scène incarné par Amalric est à la recherche de cette Wanda pour sa pièce. Il est sur le point de baisser les bras, désespéré de ne voir en audition que de petites pimbêches, quand entre avec esclaffe une actrice de bas étages, vulgaire et agaçante, prête à tout pour obtenir le rôle de celle qui porte le même prénom que le sien. D’abord rebuté par l’aspect de la comédienne qui étrenne chaussures à cinq balles et collier de chien évoquant sans subtilité l’univers du bondage, Thomas développera une fascination devant cette femme qui connaît toutes les répliques de sa pièce et qui joue et comprend le personnage mieux que lui.
Polanski s’amuse avec les codes de la domination et s’approprie de manière très moderne la signification des propos de Sacher-Masoch. Si certains voient dans le livre La Vénus à la fourrure des propos féministes en raison de la domination de la femme sur l’homme, le réalisateur d’origine polonaise vient plutôt souligner le caractère misogyne de l’oeuvre. Tout comme son personnage, Thomas sera aussi «victime» des mains d’une femme. Vanda l’actrice exerce sur lui une fascination, et ce, malgré son franc-parler et sa manière réductrice d’aborder La Vénus à la fourrure. Mais si cette Vanda comprenait mieux que quiconque les dessous du roman de Sacher-Masoch? Si elle pouvait percevoir réellement les desseins de l’auteur et, par le fait même, ceux de Thomas? Emmanuelle Seigner, qui est également la douce moitié de Polanski, parvient un tour de force en incarnant une actrice qui joue à son tour un personnage qui en cache un autre sans aucune sensation de vertige. Un piège savamment évité qui aurait pu être dangereux en raison des multiples revirements de rôle et de situation.
À coups de travelings et de jeux d’éclairages brillants, Polanski parvient à rendre ce huis clos extrêmement dynamique, sans jamais, ou presque, ennuyer. Toujours très cérébral, le réalisateur gagnant d’un Oscar pour The Pianist n’a pas peur du flot de dialogues. À l’instar des bijoux cinématographiques se déroulant en huis clos (on pense notamment à 12 Angry Men ou Rear Window), le cinéaste réussit à créer une véritable tension dramatique par la force de ses cadrages, qui ne sont pas sans rappeler ceux d’une efficacité sans nom dans Rosemary’s Baby. Si le démon se cachait dans le ventre de la jeune Rosemary Woodhouse dans le classique de 1968, une version contemporaine des vices et maux s’infiltrerait dans les actions des femmes, à en croire Sacher-Masoch ou Thomas. «Et le Tout-Puissant le frappa, le livrant aux mains d’une femme.» Un tel courroux ferait se jeter aux barricades toutes les Femen de ce monde. Polanski vient à la rescousse du féminisme en préparant une vengeance toute désignée dans une scène finale explosive. Le machisme en prend plein la gueule. Jouissif!
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de la rédaction