«La fin de Wonderland» de Laurence Turcotte-Fraser: une plongée fascinante dans l’univers de l’icône trans et fétichiste Tara Emory

Tara, cette étoile pas comme les autres

C’est en 2013 au Café Cléopâtre que Laurence Turcotte-Fraser a fait la connaissance de Tara Emory, alors qu’elle avait dans l’idée de réaliser un documentaire effleurant la scène fétiche montréalaise.

En même temps qu’elle se promenait avec sa caméra dans l’arrière-scène, la cinéaste est soudainement tombée sur l’artiste et s’est émerveillée du personnage. Des étoiles dans les yeux, elle a alors décidé de filmer sa performance et l’a invitée à se joindre à un after party avec des amis.

«On a jasé pendant quatre heures, elle m’a raconté toute sa vie!», nous explique-t-elle. «Tara m’a dit qu’elle faisait de la pornographie, qu’elle faisait ses photos et ses costumes elle-même, et qu’elle filmait elle-même aussi.»

L’icône trans et fétichiste Tara Emory. Photo: Artémis Films.

Par la suite, dès que Tara était de retour à Montréal, Laurence est venue filmer ses performances, et c’est ainsi qu’une véritable complicité s’est créée entre les deux.

«Plus j’ai appris à la connaître, plus je me suis rendu compte qu’on était vraiment similaires. C’est quelqu’un qui est super gêné, dans le fond, même si son personnage public est osé, et j’ai réalisé qu’on se ressemblait beaucoup.»

Au fur et à mesure, ce qui devait initialement être un film choral avec plusieurs personnages de l’univers du fétiche est devenu un documentaire sur Tara. Laurence admet qu’elle s’est tranquillement rendue à l’évidence en réalisant qu’à chaque fois, «Tara volait la vedette et qu’[elle] ne pouvai[t] pas trouver un personnage aussi fort qu’elle pour son film.»

Un film aux multiples couches de complexité

La fin de Wonderland ne se contente pas d’observer de façon passive la vie de trans et d’icône fétichiste de Tara Emory ni le milieu de la pornographie. C’est l’humaine au complet qui est passée au crible et qui nous ouvre les portes de son studio créatif, alors qu’elle est sur le point de le perdre et  qu’elle traverse des défis à la fois personnels et professionnels.

En effet, son père est un accumulateur compulsif et additionne depuis des années des voitures de collection en dessous de son studio: ce dernier a ce qu’on appelle un hoarding disorder (ou trouble de la thésaurisation). Dans le film, on voit Tara essayer de sauver tant bien que mal certaines voitures parmi toutes celles que son défunt père a amassées au fil des ans.

Comme nous fait remarquer Laurence, «ce studio, c’était à la fois le cœur de sa création et sa collection de voitures, il y avait quelque chose de freudien. On voit le studio porn où son personnage public a le dessus, et en dessous, il y a les voitures de son père qu’elle a réussi à garder, qu’elle cache.»

«Il y avait quelque chose à faire avec le personnage double: le personnage public, d’un côté, et celui, privé, de l’autre. La structure narrative est beaucoup plus complexe que d’habitude.»

Au milieu de ces bouleversements intenses, Tara n’a pas triché et s’est ouverte de façon authentique à la caméra. «Elle a été vraiment généreuse et s’est montrée telle qu’elle était, y compris lorsqu’elle n’avait pas de maquillage ou qu’elle a vécu des moments vraiment plus difficiles avec la perte de son studio»,  admet la réalisatrice.

L’humain au cœur de la création

Tout en offrant un portrait unique de Tara Emory, Laurence Turcotte-Fraser a justement voulu faire ressortir l’aspect humain en général, l’un de ses sujets de prédilection.

Elle a par exemple cherché à dépeindre un univers dans lequel ceux qui ne se retrouvent pas toujours dans les films destinés au grand public pourraient s’identifier.

«Ça met en scène un personnage qu’on ne voit pas au cinéma d’habitude. La raison pour laquelle j’ai fait La fin de Wonderland, c’est que, souvent, je ne me reconnaissais pas dans les personnages des films, et surtout dans les grands classiques où je ressentais une certaine distance.»

Laurence ajoute: «Tara peut toucher et rejoindre plein de gens, la structure n’est pas classique. Ce n’est pas un film qui est fait avec un grand budget, mais je l’ai autant fait pour brasser le monde humainement que pour les valeurs des gens.»

Et, alors que La fin de Wonderland s’apprête à sortir en salle, elle travaille ces temps-ci sur La cité des évincés, un projet documentaire qu’elle a mené avec Priscillia Piccoli pour documenter la crise du logement à Montréal en 2021, en pleine crise humanitaire de COVID-19.

Laurence Turcotte-Fraser a définitivement une sensibilité humaine et un sens de la justice qui l’habitent, et c’est bien inspirant.

La fin de Wonderland sera à l’affiche à compter du 9 septembre au Québec, et des ciné-rencontres auront également lieu en présence de la cinéaste et de Tara Emory. Pour découvrir la liste des cinémas participants et vous procurer vos billets, c’est par ici. Bonne séance!

*Cet article a été produit en collaboration avec Les Films du 3 Mars.