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L’erreur principale serait d’aborder Killing Them Softly d’Andrew Dominik selon sa campagne publicitaire, en d’autres mots comme un gros n’importe quoi intrigant. Une erreur, certes, puisque l’œuvre en soi est certainement supérieure à tout ce qu’on pourrait s’imaginer.
De façon aussi étonnante qu’attendue, voilà qu’Andrew Dominik revient à la charge en délaissant la voie de la facilité pour livrer une vision fortement audacieuse du roman Cogan’s Trade de George V. Higgins. Sous sa réalisation, l’œuvre devient alors une fable verbeuse naviguant dans les eaux de Tarantino, où la marée haute de dialogues persiste à laisser grossir l’attente d’un coup d’envoi violent mais récompensant, et ce, avec la classe la plus stylisée possible.
Réflexion noire dans une Amérique en pleine élection qui attend ses changements et son prochain président, voilà que rien ne va plus dans le domaine criminel lorsque des amateurs chamboulent l’ordre qui y règne pour y semer un chaos qui fait débuter un jeu de dominos sans fin. Sorte de énième variation sur la métaphore du battement d’ailes de papillon et de ses semblables.
Le tout aurait pu être brouillon, approximatif ou simplement une tentative ratée, mais voici qu’il se transforme en pièce maîtresse d’art puisque Dominik soigne sa mise en scène au peigne fin. Épaulé de la direction photo de Greig Fraser, qui succède au génie de Roger Deakins, livrant ainsi un visuel qui nous hypnotise dès la scène d’ouverture et qui se magnifie et se bonifie au fil des minutes. Le réalisateur s’aide des images, du son et d’un rythme maîtrisé au quart de seconde pour soigner chaque parcelle de ses scènes, si ce n’est de ses plans.
Mieux, il s’amuse également au niveau narratif dans un état omniscient jouant ainsi au chat et à la souris entre le narrateur et celui qui vit l’action. Comme quoi on se perd entre ce qui est montré, ce qui est raconté et ce qui se déroule, ajoutant au bordel infini et sans fin possible que le film prône d’entrée de jeu.
Certes, il manque peut-être l’état d’accomplissement qui auréolait son long-métrage précédent, le sublime The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, étant donné qu’à travers son lot de longs dialogues, on a par moments l’impression que le film se perd dans les bavardages, mais il faut admettre que l’intelligence y est bien dissimulée derrière, et qu’il faudra peut-être un bon moment de réflexion pour l’assimiler à sa juste valeur et en absorber les nombreuses nuances. Surtout que l’histoire n’a en soi aucun réel protagoniste, puisque tout le monde a sa part d’importance. Sans oublier que la distribution stellaire est à la fois rehaussée par les géants (Brad Pitt, Richard Jenkins, Ray Liotta, James Gandolfini) que par les moins connus, mais tout autant talentueux (Scott McNairy, Ben Mendelsohn), rendant le tout curieusement uniforme au point de plus trop savoir où y trouver le plus grand mérite.
Laissons donc celui-ci à la vision du cinéaste. Par le biais d’un montage frénétique qui donne du panache à ce court film qui paraît pourtant beaucoup plus imposant, il multiplie ses prouesses techniques pour y insuffler un regard artistique qui se veut payant. Mieux, il y a fort à parier que l’œuvre se bonifiera avec le temps et qu’il s’avérera payant de la réécouter et de l’analyser sous toutes ses coutures, autant du point de vue cinématographique que du scénario, et de la profondeur ainsi que de la richesse de ses dialogues.
Naviguant avec aisance entre l’humour, le drame et la tension, multipliant un nombre nécessaire de scènes diversifiées qui transforment nos états d’âme du tout au tout, Andrew Dominik prouve à nouveau l’excellence de son talent, prouvant sans l’ombre d’un doute qu’il ne faut certainement pas l’abandonner du coin de l’œil. On suivra donc l’autorité de ses personnages, on se taira et on l’écoutera, peut-être encore sous le choc pour assimiler et admettre la qualité de l’œuvre qu’il nous aura mis sous le nez.