Entrevue avec Stéphane Lafleur – Bible urbaine

CinémaEntrevues

Entrevue avec Stéphane Lafleur

Entrevue avec Stéphane Lafleur

À la veille de la sortie en salle de son film «Tu dors Nicole»

Publié le 21 août 2014 par Justine Lalande-Church

Crédit photo : Caroline Hayeur et Sara Mishara

Stéphane Lafleur fait son chemin dans le monde artistique depuis le début des années 2000. Homme de nature discrète, son travail lui, l'est moins, puisque constamment reconnu par la critique. Ses deux longs-métrages, Continental, un film sans fusil et En terrains connus, ont remporté plusieurs distinctions au sein de festivals reconnus, et le premier s’est vu attribué les Jutras du meilleur scénario, de la meilleure réalisation et du meilleur film. Le réalisateur originaire de St-Jérôme est aussi écrivain (Mon ami Bao), monteur (Monsieur Lazar, Les Francs-tireurs) et auteur-compositeur-interprète (Avec pas d’casque). Bible urbaine s’est entrenu avec Stéphane Lafleur au sujet de son dernier film, Tu dors Nicole, présenté à Cannes en mai dernier, et en salle ce vendredi au Québec.

L’idée de ce troisième long-métrage lui est venu à partir du titre. «Je trouvais que c’était un joli titre et qu’il y avait peut-être un film à faire avec ça. Et, comme Nicole c’est un nom de femme plus âgée, je me suis dit que ce serait drôle de donner ce nom-là à une fille dans le début de la vingtaine, et là m’est venu l’idée de m’attarder à des personnages et à cette période de la vie.»

Tu dors Nicole raconte l’été d’une jeune femme de 22 ans (Julianne Côté) qui se retrouve seule dans la maison de ses parents partis en voyage. C’est avec sa meilleure amie Véronique (Catherine St-Laurent) qu’elle écoule ses journées en banlieue. L’arrivée de son frère aîné (Marc-André Grondin) et de son groupe de musique venu enregistrer des chansons dans le salon vient chambouler le quotidien des deux filles. La cohabitation avec les nouveaux venus ne sera pas de tout repos pour Nicole; elle ébranlera sa relation amicale et n’aidera en rien son insomnie incessante.

tudorsnicole_entrevue_stephanelafleur_bibleurbaine_nicvero_

«J’ai l’impression que quand on est petit, on est plus proche du sol et qu’en grandissant, on s’en éloigne. J’avais envie de retrouver cette sensation de l’été, celle de marcher la nuit dans son quartier, de voir à travers les fenêtres, la chaleur, la moiteur du gazon. D’où l’idée d’un personnage insomniaque pour justifier ses promenades nocturnes.»

«J’ai grandi à St-Jérôme et je me rends compte à quel point mes trois films sont très inspirés de cette première moitié de vie, même si je ne fais pas des films datés et qu’on ne sait jamais en quelle année et où ça se passe. Les années 80 sont très présentes dans mes films, que ce soit au niveau des costumes, du choix des maisons, des expressions que les personnages utilisent.»

Lorsqu’on lui demande si le film pose un regard nostalgique sur cette époque, le réalisateur se ravise: «J’essaie toujours de lutter contre la nostalgie, c’est un sentiment que je n’aime pas beaucoup. Je n’aime pas partir des projets d’emblée en les abordant avec la nostalgie, je trouve que c’est acculé. J’essaie de faire des films contemporains, mais qui empruntent à ces années-là parce que j’ai l’impression de les connaître un peu plus. D’où l’idée de tourner en noir et blanc, pour faire un film intemporel et ne pas prétendre présenter des filles de vingt ans en 2014. Je ne voulais pas que ça ait l’air d’un portrait actuel.»

Tournage «Tu dors Nicole» de Stéphane Lafleur

Aujourd’hui, Stéphane Lafleur dit avoir de la difficulté à imaginer le film en couleurs. Le seul défi imposé par le choix de pellicule résidait dans les nuances de lumière propre au matin et à la nuit. «C’est au son qu’on est allé de façon très soulignée, surlignée, écrite en bold; on a utilisé les grillons pour la nuit, les oiseaux pour le p’tit matin et pas de nuance là-dedans. On est allé avec les plus grands clichés du cinéma, ce qui fait que le moment de la journée est plus clair.»

Si la musique se faisait rare, voire pratiquement absente au sein des deux premiers films, Tu dors Nicole en est tapissée. D’un côté, Organ Mood assure la bande sonore style science-fiction, celle-là qui caractérise le côté rêveur du personnage principal, et de l’autre, Rémy Nadeau-Aubin (Jacquemort) est le compositeur derrière «l’équivalent d’un album en un mois», regroupant les chansons du groupe du frère de Nicole, lesquelles on entend à plusieurs reprises.

tudorsnicole_entrevue_stephanelafleur_bibleurbaine_band_

Au sujet de la réception du film par le public, le réalisateur adopte une attitude réaliste. «Je pense que c’est une erreur d’essayer de comprendre ce que le public veut avoir. On essaie de proposer des univers originaux et après on espère que la réponse va être bonne, mais on ne peut vraiment pas le savoir d’avance… La recette du bon film n’existe pas encore.» Il revient quand même avec un souhait: «On aimerait que le film habite les gens. Au sortir de la salle, le lendemain matin, que le film continue de faire son chemin plusieurs jours plus tard. C’est là qu’on voit la qualité d’un film.»

Pour Tu dors Nicole, Stéphane Lafleur dit s’être intéressé à l’état d’esprit d’une fille début vingtaine et à ses relations d’amitié. Il semble que celui qui s’entoure de femmes à la caméra, (Sara Mishara), à la conception visuelle (André-Line Beauparlant) et au montage (Sophie Leblond) depuis son premier long-métrage, et qui a composé des chansons à la première personne pour Fanny Bloom et Les sœurs Boulay, possède une sensibilité féminine marquée. Lorsqu’interrogé sur le sujet, le principal intéressé dit ne jamais y avoir réfléchi, et n’a pas de réponse claire. «Je vais y penser et je t’enverrai un email!» Il affirme néanmoins que le fait de mettre en scène un personnage féminin prévient toute étiquette autobiographique qui pourrait être apposée à son film, celui-ci qui n’est effectivement pas à propos de lui. Une chose est sûre, ses personnages féminins jouissent toujours de personnalités complexes et nuancées, jamais stéréotypées.

tudorsnicole_entrevue_stephanelafleur_bibleurbaine_nicole_

Au final, Stéphane Lafleur est d’abord et avant tout un être fondamentalement sensible qui fait preuve d’une empathie profonde. Cette dernière l’amène à créer des personnages et des situations vrais, qui rejoignent et ravivent des émotions et des souvenirs parfois enfouis très loin.

«Dans tous mes films, les personnages principaux ont de la misère à être totalement bien. Il y a toujours du monde qui ont plus de fun qu’eux. Mais j’essaie toujours de pousser mes personnages à un petit changement vers la fin, à une espèce de transformation et de les approcher d’une lumière, d’une vie meilleure et d’un avenir meilleur.»

«Tu dors Nicole» sera à l’affiche dès le 22 août au Québec.

Vos commentaires

Revenir au début