CinémaEntrevues
Crédit photo : Jim Chartrand
Inspiration
Tout est né de la fascination d’un objet, la machine à écrire, qui a fait l’objet d’un documentaire que Régis Roinsard a vu un dimanche après-midi. Rapidement fasciné, notamment par ces soit-disant concours qui l’ont poussé à faire des recherches tellement il n’y croyait pas trop, il s’est vite mis à écrire les premières lignes de ce qui deviendrait tôt ou tard le film qu’on connaît maintenant.
«L’idée est venue parce que j’ai vu un documentaire sur l’histoire de la machine à écrire et j’en étais fasciné. À la fois l’histoire simplement d’un objet qui a passé autant d’années, qui a évolué, mais aussi par celle d’un objet dont les évolutions étaient marquées par les bouleversements de la société. Donc c’est un sujet qui m’a beaucoup intéressé et lorsque j’ai vu un extrait d’un concours de tapage dactylographique, je me suis tout de suite dit “wow! qu’est-ce que c’est que ce truc! C’est complètement dingue!”, et je trouvais ça très cinématographique et très esthétique en plus. De plus, j’aime beaucoup le sport et les films sur le sport parce que quand j’étais ado, dans les années 80, il y en a eu beaucoup et comme c’est un genre plutôt américain, je me suis dit pourquoi je n’essaierais pas de faire un film là-dessus. Et donc le dimanche que je regardais ce documentaire, j’ai tout de suite sauté sur mon ordinateur et j’ai commencé à écrire les premières lignes de Populaire avec le personnage de Rose Pamphile, seulement, et ces histoires de machines à écrire.»
Et malgré ce qu’on pourrait croire, le phénomène dépeint dans le film, oui, existait vraiment, mais était peut-être même encore plus intense que ce qu’on y montre, comme l’explique le réalisateur: «Je me suis renseigné sur toutes ces compétitions et j’ai appris que ça existait vraiment parce que j’avais un doute en regardant ce documentaire que ça avait une portée mondiale. Pour la compétition à New York, moi je l’ai situé dans un théâtre mais, par exemple, il y en a une aux États-Unis qui avait lieu dans d’immenses salles où il y avait encore plus de monde que ce que je montre. Et tout cela avait commencé dans les années 20 à peu près et c’est les marques de machines à écrire qui avaient développé ce sport pour promouvoir leurs machines à écrire.»
Un fait fascinant qui n’a pas manqué de motiver davantage le cinéaste, précise-t-il. «Ça aussi en fait je trouvais ça intéressant parce que ça me rappelait toute la société de consommation et, bien sûr, les courses automobiles comme on sait que c’est surtout un avantage pour les marques automobiles que pour les sportifs finalement. Donc c’est quelque chose qui m’intéressait beaucoup. Donc voilà, c’est né en tout cas de cela et de mes nombreux désirs, parce que j’ai trouvé qu’à travers cet objet et ces compétitions je pouvais faire un film qui réunissait toutes mes envies à la fois d’histoire, de thématique et esthétique aussi.»
Innovation
Comme on s’en doute, le film parle directement et indirectement de progrès. Avec ses nombreux anachronismes et ses clins d’œil, Régis Roinsard rend hommage, pastiche et s’amuse systématiquement avec tout ce qu’il touche, occasion inévitable de faire du neuf avec du vieux et d’ainsi contourner nos appréhensions. Après tout, comme il le dit si bien face aux spectateur: «Il faut leur donner ce qu’ils attendent et en même temps toujours les surprendre, trouver l’équilibre risqué entre les deux». C’est donc sans mal qu’il s’est fait plaisir tout en jouant avec tout ce qui était à sa disposition. «J’aime bien les genres et j’aime bien les tordre. Comme la comédie romantique est un genre, je l’ai prise, je me suis servi des clichés et je les ai tordus, modernisés, et j’ai essayé de les adapté à ma sauce, tout en pensant au spectateur. Parfois, on n’y arrive pas, les gens ne sont pas surpris et quand il ne sont pas nécessairement surpris, scénaristiquement il faut les surprendre dans la profondeur, ce qui veut donc dire avec le film. De plus, comme il y a beaucoup d’ironies au final dans mon film, c’était tout de même assez dur à faire. Malgré tout, on a beaucoup travaillé pour tous les domaines et c’était important de travailler en équipe sur littéralement tout.»
Et quand le réalisateur dit qu’il s’est assuré de tout soigner, il ne ment pas. Des démarches des comédiens jusqu’au plus petit détail d’accessoire ou même d’ordre musical, il a pensé à tout pour que l’expérience soit totale.
«J’avais envie de créer une courbe rythmique, qu’il y aie une progression et que le tout soit de plus en plus rapide, que le montage soit plus serré, et que les mouvements de caméra soient de plus en plus grands et amples pour basculer vers la modernité. En même temps, c’est grisant, c’est quelque chose de jouissif aussi le cinéma, et comme c’est une réaction sensorielle d’émotions, j’avais envie que les gens soient excités de plus en plus par ces championnats, par leurs histoires aussi, par le rythme musical, et celui des machines et des couleurs. Et disons que le tout allait très bien avec l’esprit du film comme c’est quelque chose sur la vitesse, alors c’était parfait pour moi. En plus, cela m’intéressait beaucoup, puisque dans les années 50 il y a vraiment eu le début de toutes les recherches de vitesse. On voulait battre des records de course de voiture, dans l’aviation on essayait d’aller plus vite, tout comme dans l’espace aussi et tout ça me fascine, ce désir de vouloir toujours aller plus vite. Même encore maintenant avec l’Internet d’ailleurs, alors je trouvais qu’il y avait une parabole, une allégorie avec le monde de maintenant et des années 50.»
Immersion
Film d’époque oblige, pour que tout soit crédible et que l’expérience soit totale, Régis Roinsard s’est donc assuré que l’immersion soit totale. «Pour qu’on soit complètement immergé dans les années 50, il fallait qu’il y ait tout: la musique, les coiffures, la manière de sortir d’une voiture, il fallait beaucoup beaucoup de choses.»
Et pour lui c’était très important puisque c’est une époque qu’il considérait de façon très personnelle. «J’adore les années 50. J’aime non seulement son cinéma, mais aussi beaucoup de choses esthétiques que ce soit le design, l’architecture, le stylisme, les couturiers de l’époque, etc. En même temps, je ne voulais pas faire quelque chose de nostalgique, c’était pas mon truc. Et c’était pas non plus pour dire que c’était mieux avant. Je ne voulais pas du tout. Mais j’adorais la volonté de faire un film de costumes et de décors, surtout que j’aime bien les films à univers et puis c’est comme si c’était un filtre à utiliser où l’on peut y dire des choses très personnelles en passant à travers ce filtre sans que les gens autour le sachent véritablement.»
Poussé par son intérêt à voir au-delà, le réalisateur explique d’ailleurs plus difficilement et minutieusement son rapport avec cette époque: «Ce qui m’intéresse, c’est que c’est une société très complexe. C’est-à-dire que c’est une décennie de fantasmes et en même temps c’est une période dure et ambigüe. On sort de la Seconde Guerre mondiale pour beaucoup et ils ne veulent plus penser aux choses négatives, alors qu’en même temps ils ne peuvent pas y échapper. C’est pour ça que ces années 50 me touchent et que je m’y sens proche puisque c’est des années où il faut voir au-delà de ce qu’elles représentent.»
Heureusement, il a eu beaucoup de chance et beaucoup de support et de dévotion de la part de son équipe pour que son film soit un succès. «J’ai réussi à avoir tous les comédiens que je voulais, ce qui était incroyable pour moi, pour un premier film même si en fait je ne l’ai pas écrit avec des acteurs en tête parce que j’avais trop peur de ne pas les avoir, ce qui m’a poussé à ne penser qu’à des acteurs américains morts. Je me suis dit que comme ça, c’était sûr que je ne les aurais pas!» Et en plus d’être très talentueuse, sa distribution était également très dévouée. On pense à ses actrices qui n’ont pas hésité à prendre part à de nombreux mois d’entraînement pour répondre aux exigences de leurs rôles!
«Elles ont fait beaucoup d’exercice. Déborah a fait sept mois de dactylographie avec une coach. C’est-à-dire que pendant quatre mois, elle a appris à taper à dix doigts et à taper à dix doigts très vite. Également, elle a appris à taper à deux doigts très vite et c’est peut-être ce qui est le plus dur, parce que quand on est à dix doigts on ne va pas se coincer les doigts entre les touches, mais avec deux doigts on peut vraiment se faire très très mal. Et Mélanie Bernier, qui joue sa rivale au championnat de France, a également eu, je dirais, la même formation. Par contre, celle qui interprète la candidate américaine, Susan, elle savait déjà taper à dix doigts et très vite. Elle n’est pas comédienne à la base, je l’ai d’abord choisie pour ses performances et puis après je l’ai un peu coachée pour qu’elle joue la comédie et elle s’en est très bien sortie.»
Pour ce qui est des projets à venir, Régis Roinsard en dévoile très peu, mais concernant son premier long-métrage, il ne pourrait se montrer plus enthousiaste à nous en parler et à nous l’offrir. «S’il faut voir mon film, c’est parce qu’il fait rire et parce que j’espère qu’il peut émouvoir, tout comme il a la possibilité de donner beaucoup de sensations, que ce soit des yeux ou même des oreilles. De plus, je pense que c’est un film généreux. J’ai donc envie de le donner, de le partager et je pense que c’est surtout un film aussi qu’on peut voir avec plein de gens différents.» Romantique à souhait et débordant de passion, gageons qu’il y aura difficilement un meilleur film à voir en salles pour le soir de la St-Valentin.
Le film «Populaire» prend l’affiche dès aujourd’hui!