CinémaEntrevues
Crédit photo : Jim Chartrand
Après avoir abordé la cinquantaine par le biais d’un rituel familial dans La saison des amours, puis le troisième âge au bord de la mer dans La belle visite, le cinéaste fait un saut en arrière pour décrire un nouveau pan de la vie en région, s’intéressant cette fois à la jeunesse dans La marche à suivre. «Je choisis des sujets auxquels j’ai le goût de me coller puisqu’ils m’inspirent, mais aussi pour lesquels je sens que je n’ai pas la clé», raconte Jean-François Caissy.
Présenté il y a maintenant cinq ans, son précédent documentaire La belle visite observait sans prétention le sobre quotidien de personnes âgées. Fort de cette belle expérience de tournage, qui lui a valu par la suite une reconnaissance notable, de nombreux prix et une tournée internationale, le cinéaste s’est rendu à l’évidence qu’il devait poursuivre dans cette voie. «J’avais vraiment aimé l’expérience du tournage de La belle visite, d’autant plus que le film a eu une belle vie. Je voulais donc simplement reprendre l’exercice. C’est même devenu un projet à long terme puisque je veux faire une série de films portant chacun sur une différente étape du développement. Le prochain, que j’ai d’ailleurs déjà commencé, portera sur le début de l’âge adulte.»
Cinéaste qui a certainement de la suite dans les idées, Caissy aime se sentir libre, mais aussi les possibilités de rencontres, ce que ces projets lui offrent sur un plateau d’argent. «Je n’aime pas tracer un seul portrait et suivre le même individu; je préfère y aller globalement par le biais d’un échantillonnage.» Issu de la photographie, on comprend alors sa préférence à épouser du regard ses sujets plutôt que de tenter de les expliquer. «C’est une question d’établir une relation de confiance; je fais du documentaire parce que j’aime rencontrer les gens et j’aime la liberté que cela me donne.»
Il lui a fallu beaucoup de recherche pour trouver son leitmotiv et ce qui saurait différencier son film de tous les autres qui se sont déjà attardés sur ce sujet. «Je ne voulais pas filmer dans les classes pour éviter que tout tourne un peu trop autour de l’institution elle-même. On a aussi beaucoup vu ce procédé à l’écran et dans cette perspective le film Entre les murs de Laurent Cantet est tellement bien fait qu’il compense pour tous les documentaires qui se pencheraient sur le sujet!»
Caissy a donc sillonné le Québec pour finalement réaliser que ce qui l’interpellait le plus se retrouvait dans son patelin natal. «D’une certaine manière, ce choix de tourner en campagne rendait le tout intemporel et devenait en quelque sorte un retour vers ma propre adolescence.» Le cinéaste de 37 ans est ainsi revenu près de vingt ans en arrière, retrouvant son école secondaire, l’accent singulier qui y teinte le langage et les lieux qui l’ont aidé à s’émanciper, réalisant que depuis le temps, les choses n’avaient pas tellement changé. «La liberté des grands espaces semblait cinématographiquement plus intéressante à exploiter. Le besoin de s’évader et d’explorer était également plus simple à évoquer, d’autant plus, comme c’est mon village natal, je connaissais la majorité des lieux fréquentés.»
Aidé de son collaborateur de longue date, le directeur de la photographie Nicolas Canniccioni (avec qui il a étudié et fait tous ses films), Caissy a multiplié les allers-retours entre Montréal et la Gaspésie, sur une période d’un peu plus d’un an, pour filmer les moments-clés de la vie de ces jeunes. Montée méthodiquement et progressivement, l’heure et quart que totalise le film n’est en fait qu’une infime partie de la centaine d’heures qu’ils ont captées à l’aide d’une caméra sur trépied et d’un micro perché. «La caméra sur trépied impose un autre rythme, une autre méthode et une approche qui demande de réfléchir davantage, s’alliant bien avec le type de documentaire d’observation qui m’intéresse.»
Alternant les savantes interventions de la direction avec des élèves en difficulté ou turbulents et les moments d’errances et d’exploration en pleine nature, le cinéaste a pris le pouls d’une réalité sans l’influencer, s’adaptant à son propre rythme. «Le cinéaste Nicolas Philibert avait une expression, “programmer le hasard”, et je pense que c’est un peu ce que représente mon travail: tu provoques des évènements, tu provoques le hasard, mais la vie suit son cours.»
Face à ce très beau long-métrage qui sait représenter et dégager une parcelle de l’essence-même de la jeunesse en pleine effervescence, on ne peut que lui souhaiter de poursuivre sur sa lancée, le film étant déjà récipiendaire d’un prix au Portugal, aux États-Unis ainsi qu’aux plus récentes Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM).
«La marche à suivre» prend l’affiche en salle au Québec ce vendredi 28 novembre.