«Carol» de Todd Haynes – Bible urbaine

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«Carol» de Todd Haynes

«Carol» de Todd Haynes

Bâiller devant une superbe nature morte

Publié le 14 janvier 2016 par Alexandre Beauparlant

Crédit photo : The Weinstein Company

Comme il est de coutume en période des Oscars, nous assistons à un arrivage régulier de «films de prestige». Et, comme chaque année, dans le lot, un long-métrage x s'attire les éloges inconditionnels pour des raisons qui deviendront de plus en plus confuses au fil du temps. Ces films éphémères et surestimés profitant d'un puissant effet buzz, vous les connaissez: Lincoln, American Hustle, The Imitation Game... cette fois-ci, c'est Carol qui s'y colle!

Situé dans le New York des années 1950, le film raconte la relation intime liant deux femmes, à une époque où les rapports homosexuels, on s’en doute bien, étaient cachés et répréhensibles. Carol (Cate Blanchett), une riche bourgeoise prisonnière d’un mariage malheureux, recherche un cadeau pour sa fille à l’approche de Noël. Faisant ses emplettes dans un magasin de jouets, elle rencontre Therese (Rooney Mara, gagnante du prix d’interprétation féminine au dernier festival de Cannes pour son rôle), une simple vendeuse de comptoirs.

Leurs regards se croisent, se parlent. Une attirance mutuelle est palpable. Après une courte discussion impersonnelle, Carol s’en va en oubliant un de ses gants (s’agit-il vraiment d’un oubli?) Récupérer cet objet perdu servira de prétexte de retrouvailles. Les mamours suivront bien vite.

Adapté du roman The Price of Salt de Patricia Highsmith, paru en 1952, Carol représente d’abord et avant tout un hommage au glamour d’une époque, porté sur l’écran de manière exquise par la caméra de Todd Haynes. Nous devons de surcroît prendre en considération la collaboration précieuse du directeur photo Edward Lachman, sans qui Carol ne serait pas Carol. Son travail donne au film son aspect doucement rêveur.

Au niveau de la production, Carol ne comporte aucune faille majeure. Tout est bien fait. Le film a bien été représenté aux Oscars, avec six nominations dans certaines des catégories les plus convoitées. Todd Haynes s’est bien entouré, et ça se voit.

Malheureusement, l’élément charnière de l’œuvre, cette relation liant ses deux protagonistes féminins, est aussi touchant et engageant qu’une romance tirée d’une bande dessinée Archie. En effet, de manière surprenante, tout est d’une superficialité, d’une rigidité et d’une froideur laissant de marbre et ne permettant pas de s’approprier une émotion ou de ressentir la moindre sympathie pour les deux amantes. Rien ne semble naturel, organique.

Rooney Mara a gagné un prix prestigieux pour son rôle et on se demande bien pourquoi. Ce n’est pas de sa faute, mais son visage de poupée de porcelaine n’est malheureusement pas le plus communicatif. Pour incarner un personnage moderne souffrant d’Asperger tel que Lisbeth Salander, ça peut aller, mais dans le cas d’une romance remplie de non-dits, de regards et de silences, la pilule passe moins bien et peut provoquer un effet secondaire d’anesthésie généralisée. Et quand on ne ressent rien, on trouve le temps long. Et on bâille.

Sans oublier que ce qui était considéré scandaleux et osé en 1952 ne l’est plus aujourd’hui. On comprend le contexte hostile et les défis quotidiens, bien sûr, mais observer deux femmes adultes et consentantes s’effleurer la main en public (ou pas), ce n’est pas le genre de chose à se faire lever de sa chaise. Elles s’effleureront souvent la main, Carol et Therese.

Lorsque l’une des deux amantes dira enfin à l’autre tous ces mots qui font peur, quand ils ne font pas rire («Je t’aime», pour ceux qui n’avaient pas compris), elle trouvera en guise de réponse à son aveu le bruit d’une mouche qui vole, gracieuseté de l’objet de son désir. C’est que rien, absolument rien, ne laissait présager une déclaration sincère et justifiable de ces mots, à ce moment précis des événements. Alors, si même les personnages ne semblent pas y croire, pourquoi devrions-nous le faire à leur place?

Quelques trop rares scènes laissent entrevoir une lueur d’espoir. Trois ou quatre segments où le personnage titulaire expose sa vulnérabilité, révélant un être humain fait de chair et de sang. Mais trois scènes ne valent pas l’effort de se taper 2 heures de long-métrage, long au sens premier du terme.

On en vient à se dire qu’on passerait un bien meilleur moment en réécoutant La vie d’Adèle, plutôt que d’assister impuissant au spectacle navrant d’automates jouant à l’amour. The Duke of Burgundy, un autre film lesbien aux qualités cinématographiques onctueuses, celui-là réalisé par Peter Strickland et paru plus tôt en 2015, laissait lui aussi une bien meilleure impression.

Bref, au final, une vision encore une fois très hollywoodienne et vieillotte de la romance et du saphisme (j’aurai appris un mot nouveau, et vous?). Propre, polie et n’abordant que la surface des choses. D’un point de vue purement esthétique, le film de Todd Haynes est merveilleux et devrait plaire aux amateurs de films du «bon vieux temps».

J’envie les gens qui tomberont pour cette histoire d’amour ne m’ayant aucunement convaincue, car pour eux, la gâterie sera immense.

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Par The Weinstein Company

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