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Crédit photo : www.facebook.com/boyhoodmovie
Le projet a fait des sceptiques dès qu’il a été annoncé. Mettre en scène une décennie de la vie d’une famille et la transposer sous forme d’un long métrage de 2h45 minutes parait être une prouesse risquée. De nombreuses questions ont alors été abordées: les ellipses seront-elles habiles une fois transposées à l’écran? Est-il possible pour un acteur d’incarner un même personnage alors que le tournage n’a lieu qu’une semaine par an? Peut-on réellement caster des acteurs sur douze années? Sachant que Linkalter ne savait pas de quoi le futur serait fait, le scénario était-il déjà entièrement écrit lors de son tournage?
Richard Linklater avoue que la trame de son long métrage était déjà établie: il s’agirait bien de l’histoire d’une famille qui évolue avec les aléas que leur imposent un divorce et des reconstitutions familiales ratées. Le réalisateur savait comment débuterait son histoire et précisément comment celle-ci se terminerait. Les dialogues, quant à eux, n’étaient pas écrits à l’avance, les scènes n’étaient pas clairement définies non plus. Les acteurs avaient pour «devoir» d’entretenir un journal dans lequel ils parleraient de leurs états d’âme et de leurs évolutions personnelles, le but étant pour Linklater de rester fidèle et en cohérence avec l’évolution de ses acteurs.
Au final, c’est justement ce travail qui contribue à l’authenticité du film, celui qui nous permet de pouvoir observer en temps réel une famille vivre des instants simples, loin de ceux qui nous semblent plus décisifs. Ces ellipses-là sont ingénieusement contournées pour faire place à la simplicité et à la spontanéité de la vie, éloignant le spectateur de certaines «hollywooderies» dramatiques ou tout simplement gênantes. Il est pourtant question de divorce, d’accouchement, de déménagements et de changement d’écoles, mais ces étapes restent invisibles à l’écran. Le piège serait justement de passer à côté de la beauté du quotidien, celle qui nous échappe parce que nous n’en avons plus conscience. Minutes après minutes, Linklater ressuscite pour nous cette beauté à l’écran et nous rappelle leur importance.
Cependant, Boyhood présente de petites erreurs. Linklater accorde parfois trop d’importance à ces moments où rien n’est dit, au risque d’ennuyer son public. Par exemple, les dialogues père-fils à la fin du film, où il est question de l’adolescence et de «l’après», peuvent sembler rébarbatives. La bande originale du film est également décevante dans le sens où le réalisateur a préféré rythmer son film avec les tubes qui ont résonné dans nos oreilles de 2003 à aujourd’hui. Une bande sonore qu’il juge lui même impersonnelle, contrairement à ses précédents films où il choisissait ses musiques en fonction des émotions qu’il souhaitait transmettre. Mais ces petites erreurs sont largement compensées par la finale magnifique qui fait écho à la première scène du film: Mason qui étend son regard sur ce que va devenir sa vie.
Plus techniquement, il est saisissant de pouvoir observer Ellar Coltrane et sa famille vieillir sans maquillage ni artifice. Puisque Boyhood est tourné sur une période de plusieurs années, Linklater a exploré la notion du temps à travers l’évolution de la culture, du contexte socio-politique et des progrès technologiques. Ces étapes ne sont pas toutes montrées à l’écran, mais l’on peut tout de même voir les élections présidentielles américaines, l’apparition de la Game Boy ou la sortie des différents opus da la saga Harry Potter, qui servent ici de repères chronologiques.
Plus personnellement, chacun d’entre nous pourra s’identifier à la famille de Mason, car il s’agit bien d’une famille universelle, qui vit des instants universaux: les relations père-mère-enfants dans les familles brisées, les reconstitutions familiales, les déménagements intempestifs, les rentrées scolaires angoissantes, les jobs d’été fatigants. Il est également question des premières interrogations à propos de la vie et de ses désillusions, des premières révoltes adolescentes, des premiers chagrins d’amour, des choix auxquels l’on se confronte lorsque nous devenons adultes ou parents.
Au final, Boyhood deviendrait presque une réponse aux questions que l’on se pose, une observation sur ce qu’est la vie, une anthologie sur l’enfance et l’adolescence. Un chef-d’oeuvre, en somme.
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de la rédaction