«Birdman ou les vertus de l’ignorance», le nouveau film d'Alejandro González Iñárritu – Bible urbaine

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«Birdman ou les vertus de l’ignorance», le nouveau film d’Alejandro González Iñárritu

«Birdman ou les vertus de l’ignorance», le nouveau film d’Alejandro González Iñárritu

Les ailes insoupçonnées de Michael Keaton

Publié le 31 octobre 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Alison Rosa et Twentieth Century Fox

Depuis son premier film Amores perros, Alejandro Iñárritu surgit là où on ne l’attend pas. Après l’œuvre chorale Babel et le drame de rédemption Biutiful, voilà qu’il dévoile une autre facette de son talent, celle de l’ironie. Michael Keaton quant à lui, vingt-cinq ans après Batman, embrasse la mise en abyme de l’acteur aux prises avec son passé glorieux de superhéros, passé traîné comme un boulet tout autant que comme preuve d’existence. Sur un mode fantaisiste, ne boudant pas quelques clichés par ailleurs, le réalisateur mexicain signe un cinquième long métrage tonique sur le thème de la trop rare adéquation entre réalisation personnelle et pertinence publique et artistique.

Riggan Thomson (Keaton, étonnant de nuances et de vérité) est un acteur ayant connu la notoriété une vingtaine d’années auparavant en incarnant un personnage fantastique légendaire, Birdman. Tombé en désuétude, il tente de relancer sa carrière moribonde en montant une pièce sur Broadway dans laquelle il investit tout son talent (adaptation du texte, mise en scène, jeu) et tout son argent. Ce faisant, il espère prouver à ses pairs et au public, à lui-même aussi bien sûr, que ses prétentions et ambitions artistiques sont légitimes.

Critique-cinema-Birdman-Inarritu-Keaton

Habité par son ancien personnage aux pouvoirs surnaturels qui le pousse sans cesse aux remises en question de sa voix caverneuse, il doit aussi composer avec une réalité mordante à quelques jours de la première. D’une part, un accident force le remplacement d’un des acteurs. Mike (Edward Norton), mari de l’actrice Lesley (Naomi Watts) et acteur vedette aussi talentueux qu’irrévérencieux et imprévisible, prend sa place miraculeusement, mais provoque aussi des combats de coqs. D’autre part, sa fille Sam (Emma Stone) fraîchement sortie d’une cure de désintoxication, travaillant avec lui comme assistante, préfère lui faire la gueule plutôt que de le remercier. Tous deux mettent l’égo de Riggan à rude épreuve.

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Porté par des dialogues découpés au scalpel, rythmé par des solos de batterie aussi opiniâtres que le personnage, Birdman réussit à parler de la plus commune et plus profonde des quêtes, celle du désir de signification, au-delà même du désir de reconnaissance. Et il le fait non seulement dans une histoire originale, mais sur un ton somme toute assez léger. Doutes récurrents, espoirs déçus, amours à la dérive, ressentiment à outrance sont des thèmes abordés avec d’autant plus de justesse qu’ils s’inscrivent dans le scénario, mais ne le commandent pas. Toute la distribution sans exception est impeccable, poursuivie à la trace par une caméra presque intimidante qui économise les plans (direction photo d’Emmanuel Lubezki).

Le réalisme des situations donnant lieu aux sentiments les plus courants se marie sans grincement ni distorsion à l’illusion à laquelle Riggan consent par son dialogue avec son ancien personnage de superhéros. Il est arrivé à très peu de gens de quitter volontairement une série de mégaproductions hollywoodiennes. Il arrive à tout le monde de se demander si le choix d’il y a vingt ans était le bon et de céder, par moments, aux regrets. Dans ce nouveau film, Iñárritu ne fait pas la morale ni ne pleure sur le sort de qui que ce soit, il donne une tape dans le dos aux pauvres types que nous sommes tous à nos heures. Son meilleur film.

À l’affiche dès aujourd’hui.

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