CinémaCritiques de films
Crédit photo : RIDM
Dès le début du film, on sent que le cinéaste d’origine vietnamienne Khoa Lê a choisi de laisser de côté le conformisme esthétique omniprésent dans l’univers du cinéma. Des images presque oniriques, qui ponctuent le documentaire, viennent ajouter une touche de fiction dans ce que l’on appelle le cinéma du réel. Des extraits de messages laissés sur sa boîte vocale par ses parents, ses amis et différents représentants des instances subventionnaires avec lesquels il communique offre une belle alternative à la traditionnelle voix-off des documentaires, puisqu’elle est absente du documentaire. De la musique, des voix et des conversations composent la partie sonore du long-métrage.
BÀ NÔI (Grand-maman), récipiendaire du prix du pluralisme de la Fondation Inspirit au festival Hot Docs 2013, nous fait découvrir l’attachante grand-mère du cinéaste, alors que ce dernier est en voyage notamment pour les festivités entourant la fin de l’année. Colorée et généreuse, la dame âgée de plus de 90 ans l’est. Elle se prête au jeu de la caméra – elle croit qu’il s’agit d’un appareil qui prend des photographies – en conversant et monologuant sur la vie, les traditions et la quotidienneté. Lê filme grand-maman en jouant avec l’échelle de plans et réalise des cadrages qui rappellent justement le rendu du médium photographique.
Le documentariste, qui a aussi capté avec sa lentille le créateur de mode Denis Gagnon (Je m’appelle Denis Gagnon, 2010), laisse découvrir une bonne partie de sa famille à travers son œuvre. En filmant autant de sujets, le spectateur réalise qu’il s’agit d’un film abordant plusieurs thèmes: le regard culturel et générationnel, les liens familiaux, l’identité, les souvenirs et la perpétuation de la tradition et des valeurs reliés à l’origine. C’est sur ce point que la grand-mère de Khoa Lê vient chercher le cinéphile. En insistant sur le fait de ne pas perdre sa culture, sa langue et ses ancêtres, elle dit en peu de mots des choses d’une importance capitale. La réflexion est de mise.
Outre le brillant portrait fait de cette dame, le film ouvre sur une culture que l’on ignore tous en majorité. Le réalisateur a réussi à intégrer des éléments de cette culture sans tomber dans un reportage sur les us et coutumes du Vietnam. Tout passe par les images et les êtres qui se laissent filmer. À cet effet, la caméra à l’épaule offre toujours un réalisme gagnant; technique souvent incontournable du genre documentaire. La superposition de certaines images ainsi que le personnage du «pellerin», comme l’appelle le cinéaste, apportent une dimension fictionnelle au documentaire. Cette idée rappelle que la frontière entre le documentaire et le film de fiction est souvent bien mince.
L’audace de BÀ NÔI (Grand-maman) réside en fait dans sa capacité à mêler plusieurs formes, thèmes et personnes dans un même documentaire qui se classe inévitablement dans le véritable art cinématographique. Même le questionnement identitaire du cinéaste (on voit d’ailleurs Khoa Lê à quelques reprises dans le film) s’avère pertinent. Une chose est sûre: il faut continuer à suivre l’univers de l’artiste.
«BÀ NÔI (Grand-maman)» de Khoa Lê est présenté dans le cadre des Rencontres Internationales du documentaire de Montréal (RIDM). La deuxième projection du film aura lieu ce lundi 18 novembre à 18h au Cinéma du Parc. Pour plus d’information ou pour vous procurer des billets: http://www.ridm.qc.ca/fr/programmation/films/606/ba-noi-grand-maman.
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