«Avant l’hiver» de Philippe Claudel – Bible urbaine

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«Avant l’hiver» de Philippe Claudel

«Avant l’hiver» de Philippe Claudel

La triste absence des mots

Publié le 10 mars 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : UGC Distribution

Qui croirait que recevoir des roses mènerait au burn-out et, surtout, à la remise en question de toute une vie? C’est pourtant ce qui arrive à Paul (Daniel Auteuil), la soixantaine, neurochirurgien de talent à qui tout semble avoir réussi. Très agacé par ces bouquets qui le harcèlent jour après jour, il sera pourtant progressivement happé dans une relation ambiguë avec une jeune femme (Lou, incarnée par Leïla Bekhti) qu’il soupçonne responsable de ces livraisons répétées. À ses côtés, fidèle et effacée tout en étant forte et sublime, sa femme Lucie (Kristin Scott Thomas) tente de le ramener dans leur réalité. Sans grand succès, puisque leur vie en apparence lumineuse, florissante et riche s’est construite sur le mensonge, dans le silence et l’absence à l’autre.

Romancier bien connu et célébré, le réalisateur Philippe Claudel (Il y a longtemps que je t’aime et Tous les soleils) a pour la troisième fois troqué la plume pour la caméra, parce que ce sont justement ces silences qu’il souhaitait mettre en scène. Sur ce plan, la réalisation qui s’attarde sur les visages et la lumière parfois éclatante, mais souvent en oblique ou tamisée concourent à créer une atmosphère de drame psychologique à la Sautet.

L’importance accordée à la symbolique de l’enfermement, représentée d’une part par les grandes fenêtres de la maison dont Lucie ne sort pour que s’occuper de son immense jardin, prison de verre et de feuilles, et d’autre part par sa sœur qui souffre d’un grave trouble psychiatrique, accentue le vide relationnel du couple et se superpose au mur devant lequel Paul se retrouve. Il admettra d’ailleurs s’être laissé porter sur un chemin tout tracé sans avoir cherché de liberté.

On suit donc l’avancée d’un homme ayant perdu contact avec toute forme de spontanéité et de désir dans une voie qui le force à délaisser ses certitudes. La vigueur avec laquelle Lou nie à plusieurs reprises être celle qu’il croit être le bouscule et le déstabilise. Comme il se ment à lui-même constamment – il affirme le plus sérieusement du monde « être très famille » lorsqu’il avoue que les mots de passe de son système informatique sont les prénoms de sa femme et de son fils – il choisit de ne pas voir les indices de mensonge dans ce que Lou lui raconte de sa vie et de ses parents, dans sa méprise entre la Bohème et la Traviata, dans leurs rencontres supposément fortuites.

Le fait que cette voie ne mène pas à une aventure amoureuse constitue sans doute l’élément le plus intéressant d’un scénario par ailleurs peu inventif (également signé Claudel). En effet, pour que le drame devienne thriller psychologique, Claudel aurait dû renoncer au cliché du triangle amoureux avec le meilleur ami du couple et à l’antagonisme entre le père et le fils pour se concentrer sur l’énigmatique Lou et ses intentions troubles à l’égard du personnage principal.

En diluant ainsi la tension qu’on souhaiterait beaucoup plus soutenue, les éléments secondaires du scénario maintiennent le film dans une sorte de chronique de la vie conjugale, mais sans richesse dans les dialogues, trop souvent prévisibles. Privé, par choix, du pouvoir évocateur et hautement émotionnel de son écriture, Claudel nous offre une œuvre n’appartenant malheureusement ni à un genre ni à l’autre. C’est bien dommage. À quand un roman?

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