CinémaCritiques de films
Crédit photo : Métropole Films
Dans Autrui, Micheline Lanctôt (Pour l’amour de Dieu, Le Piège d’Issoudun) met donc en scène un personnage errant et désadapté, une bête sauvage et repoussante à tous points de vue. Le choix de Robin Aubert (Miraculum, Les Maîtres du suspense) pour ce rôle, c’est un peu comme celui de Pierre Lebeau pour Séraphin: ça tombe sous le sens. C’est d’autant plus vrai que ni lui ni la réalisatrice ne mettent à l’avant-plan ce mariage parfait, tous deux cherchent (et trouvent) la vérité bien avant la performance d’acteur. Le personnage grogne plus qu’il ne parle, mais lorsqu’il parle, il est cinglant. «Ton petit appart. Tes petits tetons. Ton petit cœur. Tout est petit chez toi?» Lucie, qui ne demande pourtant pas de reconnaissance à Éloi, en prend plein la gueule. Brigitte Pogonat (La Peur de l’eau, Le Baiser du barbu) incarne avec tout autant de justesse cette grande adolescente dépourvue de passion, qui ne sait toujours pas quoi faire de son intelligence ni de son corps.
Avec ce huitième long métrage, Micheline Lanctôt aborde le sujet délicat de l’itinérance, délicat dans sa nature même, mais également d’un point de vue artistique, car le sentimentalisme et les jugements moraux guettent. Déterminée à se tenir éloignée du mélodrame, la cinéaste propose un récit dans le présent, où les gestes posés sont à prendre pour ce qu’ils sont dans le présent. Le scénario peu bavard, tant du point de vue des dialogues que de celui des sous-entendus explicatifs, renvoie le spectateur à son propre comportement à l’égard des marginaux de ce type puisqu’il n’a pas la possibilité de s’attendrir sur le passé d’Éloi (ou de le réprouver). Nous ne saurons rien de ce qui l’a mené dans cet état de déchéance.
C’est un peu là que le bât blesse. En fait, qu’un sujet délicat ne soit pas traité avec délicatesse (comme c’était le cas dans Félix et Meira, par exemple), ne pose pas problème en soi. Le choix artistique n’est pas en cause, et la facture visuelle tout comme le temps accordé à certaines scènes contribue à faire de cette tranche de vie un objet artistique intéressant. On a toutefois l’impression que le refus de toute explication «psychologisante» bloque l’apparition de l’émotion. Le scénario ne donne pas au spectateur suffisamment d’accès à l’intériorité des personnages pour que celui-ci éprouve, au moins, de l’empathie à leur égard. Si bien que la réflexion, l’auto-analyse à laquelle il est contraint demeure au plan rationnel. Loin d’être stérile, le propos aurait quand même été plus fort s’il avait pu, parallèlement, traiter intellectuellement du rapport à la marginalité et offrir la charge émotive propre à la fiction.
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de la rédaction