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Crédit photo : Fox Searchlight
Parmi l’un des cinéastes actuels les plus viscéraux que l’on peut trouver en ce moment, Steve McQueen a ce don inné de s’immiscer et d’immiscer son spectateur au sens propre dans la peau de ses personnages. De les habiter à un point tel qu’on n’assiste pas seulement à leur histoire, mais qu’on a sans cesse cette impression de la vivre de bout en bout, devenant ainsi partenaire de leurs enfers, de leurs espoirs et de leurs détresses. On pense ici à ses autres films Hunger, qui nous faisait expérimenter une grève de la faim dans une prison, puis à Shame, qui nous emportait dans le tourbillon obscène d’un dépendant sexuel.
Ce qui ajoute encore plus à l’intensité du film, c’est qu’à l’instar de son premier long-métrage, l’ensemble s’inspire d’une histoire vraie, ce qui ajoute à l’ampleur et à la gravité d’une telle injustice. McQueen donne alors un nouveau lieu à une expérience insupportable et inconfortable aux limites du possible et du psychologiquement soutenable.
L’histoire tourne donc autour de Solomon Northup, un homme noir libre et père de famille dans une Amérique à la veille de la guerre civile, qui se fait avoir en toute naïveté alors qu’il est kidnappé et revendu en tant qu’esclave, passant ainsi douze ans dans les pires conditions possibles, tout en étant écarté de tous les droits qu’il possédait auparavant.
À mille lieues de Lee Daniels’ the Butler, même s’il présente lui aussi une distribution impressionnante de premier choix (Paul Giamatti, Paul Dano, Alfre Woodard, Benedict Cumberbatch, Brad Pitt et compagnie), tout en s’intéressant à la cause des Noirs, McQueen offre quelque chose qui va bien au-delà d’une simple chronique, d’une simple parenthèse.
Il fait revivre une époque et nous donne l’impression de l’habiter dans une position de voyeur inconfortable où seuls nos yeux sont animés, démontrant ainsi le regret d’un passé qu’on ne peut plus modifier. Les yeux rivés à l’écran, on ne peut détourner le regard face à l’insupportable. On se retrouve aussi piégé que le protagoniste dans un huis clos intime qui nous permet l’espace d’un instant de tout partager.
Au sens formel, le cinéaste se montre beaucoup moins audacieux que par le passé. Les plans longs sont plus rares, même si on soulèvera une scène de punition et de torture particulièrement fébrile et difficile, puis la musique de Hans Zimmer conférera un sentiment épique et dramatique qui accordera à l’ensemble un ton par moments différent. N’empêche, le regard de McQueen est sans égal et il sait définitivement comment s’y prendre pour provoquer rapidement sans tomber dans la surenchère, l’inutile ou le superflu.
Du coup, voilà un film qui marque. C’est un film d’auteur conçu pour le grand public et nul doute que celui-ci se montrera éveillé par un tel appel à l’aide. Cette expérience qui frappe viendra unir critique et public avec une force sans pareil, probablement encore plus que le divinement ambitieux Gravity d’Alfonso Cuaron. Ainsi, s’il est dur de reprocher à l’ensemble d’avoir choisi la masse plutôt que l’élite, on doit admettre que l’objet comme tel est aussi fascinant que merveilleux.
Bien sûr, il est impossible de ne pas mentionner au passage le travail incroyable de Chiwetel Ejiofor, qui trouve ici la performance d’une vie, mais aussi d’un terrifiant Michael Fassbender, acteur fétiche du cinéaste, ici dans un contre-emploi nuancé qui aura de quoi nous marquer pour longtemps. Mention aussi à Quvenzhané Wallis qui retrouve Dwight Henry le temps d’un instant, moins de deux ans après l’inoubliable Beasts of the Southern Wild.
C’est un film-choc qui en crée un de premier ordre. Avec de la chance, il fera avancer les choses alors que tous réaliseront par le biais d’un deux heures et quart toutes les injustices que certains vivent durant leur vie.
12 Years a Slave de Steve McQueen est présentement à l’affiche en version originale anglaise et en version sous-titrée en français.
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