MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Island Records
Des débuts difficiles
Le groupe a vu le jour en 1978 à Sheffield, en Angleterre, et se nommait à ses débuts Arabacus Pulp. Formée par le chanteur Jarvis Cocker, alors âgé de 15 ans, et ses copains de l’école secondaire, la formation a commencé une longue ascension vers la gloire et a connu plusieurs mutations, que ce soit les membres qui quittaient et parfois revenaient, ou encore le style musical qui évoluait à chaque parution et parfois sur le même album… Jarvis Cocker est le seul membre permanent; il est la force créatrice de Pulp.
Le groupe offre quelques concerts et, peu à peu, les albums s’enchaînent; It (1983), Freaks (1987) et Separations (1992). Lentement, les musiciens commencent à se faire remarquer dans leur pays d’origine. Leur quatrième opus, His ‘n’ Hers (1994) génère de l’attention et est en lice pour le prestigieux prix Mercury (l’équivalent du Polaris). En mai 1995, ils remplacent à la dernière minute The Stone Roses dans le cadre du festival Glastonbury et lancent l’extrait «Common People». Le concert et le morceau font fureur et la presse s’intéresse enfin à eux. Different Class parait en octobre de la même année. Cette fois-ci, Pulp remporte le prix Mercury et obtient un succès monstre.
Un chanteur au charme singulier
Cocker se démarque des autres chanteurs populaires de sa génération. Il se donne des airs de gentlemen au ton nonchalant, agençant avec élégance des vêtements de seconde main et adoptant une gestuelle souple et extravagante. On pourrait dire (et c’est TRÈS discutable) qu’il n’est pas aussi cool que Damon Albarn, qu’il est moins bagarreur que les frères Gallagher, ou encore qu’il n’est pas aussi ténébreux que Brett Anderson… Mais il est définitivement plus raffiné, maniant sarcasme et profondeur avec une légèreté incroyable. Cette dichotomie fait tout son charme.
Ses paroles aiguisées et sa fougue sur scène lui valent rapidement le titre de sex-symbol. Qu’à cela ne tienne, il devient une vedette des tabloïds anglais, un peu malgré lui, après qu’il ait interrompu une prestation de Michael Jackson aux BRIT Awards: il dandine son derrière devant la caméra afin de protester contre l’attitude du chanteur américain, à qui il reproche de se prendre pour un dieu. En 1996, c’était tout un scandale.
D’où vient ce sens de la répartie? Sa mère, qui le trouvait trop gêné pour son propre bien, lui dénicha un emploi de vendeur de poissons. Bien que Jarvis ait trouvé ce travail désagréable, il est reconnaissant envers sa mère, car il a rencontré des personnages ayant beaucoup d’humour. Cela lui a permis de voir les choses d’une nouvelle façon. Cette épiphanie, combinée avec le désir de combattre le malaise qui le ronge lorsqu’il est en contact avec les gens, l’a motivé à faire partie d’un groupe.
En 1998, Pulp lança This Is Hardcore. Plus sombre, l’atmosphère festive fait place à une remise en question. Les critiques ont salué cette offrande, reconnaissant le courage de ne pas chercher à recréer Different Class. Mais les admirateurs boudent cet effort et le disque n’atteint pas les records établis par son prédécesseur. Il est, néanmoins, nommé pour le prix Mercury.
Pornographie, anxiété et mortalité
Le sentiment de névrose qui émane de cette parution et la disparition du côté plus dance s’expliquent par, essentiellement, deux raisons. Cocker a souffert d’une dépression nerveuse. Et Pulp a perdu Russell Senior, l’un de ses membres influents, pendant l’enregistrement de l’offrande. Ce dernier désapprouvait la nouvelle direction artistique empruntée par la formation, en l’occurrence le titre «Help The Aged».
This is Hardcore est le post-mortem de la gloire si longtemps désirée par Cocker et qui, pourtant, ne comble pas ses besoins. Le talent de parolier de Cocker prend tout son sens: il raconte des histoires, les siennes et celles des autres, avec une touche de dérision, laissant transparaître son désespoir.
La chanson homonyme est un écho à la vie en tournée, alors que le chanteur termine ses soirées à regarder des films pornos dans sa chambre d’hôtel. Le sujet, qui pourrait être embarrassant, reçoit un traitement grandiose: piano dramatique, instruments à cordes, son rétro, voix pleine d’émotions… Le vidéoclip correspond précisément à l’esprit du titre. Il s’agit d’une excellente pièce.
«A Little Soul», où il semble se juger assez durement est, en fait, une chanson écrite à propos de son père qui l’a abandonné alors qu’il était enfant. Il a éventuellement rencontré son paternel, 30 ans plus tard, et a admis avoir ressenti de la pitié plutôt que de la haine. Le texte est, en quelque sorte, l’ultime avertissement.
«Dishes» est une pièce empreinte d’apathie et de cynisme frôlant l’absurde. Elle constitue un aveu assez puissant de sa hantise de ne pas être à la hauteur. «Help The Aged», pour sa part, trahit une certaine agonie, contenue et stylisée, face à la mort qui nous guette tous.
Avec le recul, ce que je croyais être de l’ironie de la part de Cocker est peut-être le constat que la vie ordinaire comporte son lot de questionnements et d’inquiétudes, que la notoriété n’efface pas la lassitude de la vie de tous les jours. Qu’il a peur de mourir lui aussi. Qu’il n’est pas un superhéros et que, peut-être, il n’a jamais voulu en être un.
Alors, est-ce que Pulp a sauvé la britpop? Non, je crois plutôt que la formation de Sheffield a créé l’un des premiers albums post-britpop. Il a clairement affirmé qu’il était passé à autre chose, privilégiant une démarche artistique et faisant fi des attentes.