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«Un inceste naturel, remontant jusqu’à l’origine biblique de l’humanité. Les enfants d’Adam et Ève s’accouplant à tire-larigot dans le louable but de propager l’espèce. C’était la première fois que l’idée de fonder une famille avec Angelika avait germé dans son esprit. Une seconde famille plus sienne encore que la première car issue de l’union d’un géniteur et de la chair de sa chair. Une descendance sans une goutte de sang mêlé.»
L’histoire sordide de Josef Fritzl, qui arborait à l’époque la moustache du Führer, a rapidement fait le tour du monde. Régis Jauffret, quant à lui, l’a entendue pour la première fois à la radio, alors qu’il préparait tranquillement son café. Aussitôt son esprit lui a renvoyé l’image acoustique du mythe de la caverne de Platon. L’allégorie, exposée dans le Livre VII de La République, met en scène des hommes ligotés et exposés à la noirceur du monde, voués à contempler, immobiles, leurs ombres reflétées au loin. En réalité, Platon a voulu expliquer, avec cette allégorie, l’accession des hommes à la connaissance de la réalité et, par le fait même, la difficile transmission de cette même connaissance.
Régis Jauffret, avec cet énième roman, s’est imposé un mandat colossal en écrivant une histoire épouvantable qui allait mettre le lecteur face à une rude épreuve. Force est d’admettre qu’il a, malgré tout, remporté haut la main son défi, car chapitre après chapitre l’horreur se propage telle une vilaine infection. Alternant les évènements passés et présents, à savoir la nature du fait divers et les grandes lignes du procès de Josef Fritzl, Régis Jauffret nous livre ici un ouvrage réaliste et glauque d’une lourdeur inqualifiable. Ardu, non pas seulement à cause du style alambiqué de l’auteur, dont les phrases parfois trop longues ont tendance à vouloir en dire trop, mais surtout en raison du propos, qui ne manque pas de provoquer un haut-le-cœur constant.
«Chez nous, on met du vin dans sa cave. En Autriche, vous y mettez vos gosses?»
D’emblée, la trajectoire empruntée par le journaliste est quelque peu nébuleuse, car le lecteur, au début du roman, est comme bousculé entre l’enquête de l’auteur et les étapes du procès. Mais au fil des pages l’enquête du journaliste, qui est lui-même le narrateur, s’estompe légèrement pour laisser place au récit sordide de Josef Fritzl et sa fille Angelika, que l’on avait bien hâte de connaître après plus de cent-cinquante pages d’informations éparses. Malgré la lourdeur du propos, l’histoire est si bien racontée qu’il est presque impossible de vouloir la freiner en cours de route. À certains moments, la vie tragique et d’Angelika dans la cave rappelle à certains égards celle du Robinson Crusoë de Daniel Defoe, sans, évidemment, l’aspect réaliste et les innombrables séances de tortures imposées par Josef Fritzl.
Au finale, s’il n’y a qu’un seul défaut à attribuer à un tel roman, devenu best-seller dès sa sortie, c’est d’avoir mis à l’épreuve le lecteur pendant plus de 500 pages. Âmes sensibles s’abstenir.
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de la rédaction