ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Caroline Laberge
Molly Bloom est étendue de tout son long sur son lit, le corps ravagé par les caresses de son amant de la veille. Alors que son mari n’est toujours pas rentré aux petites heures du matin, elle se remémore une panoplie de liaisons extraconjugales enflammées qu’elle a entretenues durant sa vie de femme. N’ayant que faire des tabous de l’Irlande des années 20, Molly divulgue dans un franc-parler cocasse les plaisirs comme les tourments de la condition féminine. «Pécheresse» ou pas, le flot de conscience, qu’elle déverse sous l’anonymat de la nuit, est d’une fluidité captivante, les vagues de mépris, d’ennui et de libido s’écrasant incessamment sur les rives de l’intuition.
Anne-Marie Cadieux s’est prêtée à un exercice dramatique de taille. Sans s’arrêter une seule fois, elle a interprété un monologue de plus d’une heure tout en coordonnant méticuleusement son récit avec une gestuelle dansante, signature scénique propre à Haenjtens. La comédienne a relevé le défi dans toute la grâce et la précision qui fondent sa réputation. Toutefois, cette «perfection» laisse cependant une impression de manque. Les émois amoureux de Molly paraissent factices et donnent une allure froide à un personnage censé être terrassé par son désir sexuel. Il reste que Cadieux adopte à merveille les traits tirés et le regard écarquillé de l’insomnie. Elle livre aussi les propos crus de son dialogue intérieur avec une telle habilité qu’elle provoque plusieurs rires nerveux dans l’audience, soulignant ainsi avec brio une perception encore bien immature de la sexualité féminine.
La mise en scène est quant à elle sublime. Le décor rappelle non seulement les dunes qui forment les frontières de l’Irlande, mais aussi la volupté des courbes féminines. Alors qu’on s’attendait à un français international impeccable pour une adaptation théâtrale de Joyce, le choix surprenant de l’accent québécois a nécessité un temps d’accoutumance.
Le dénouement de la confidence se révèle le clou de la soirée. le spectateur est plongé dans une transe, peuplée de paysages exotiques et d’arômes sucrés. La jouissance du personnage monte au rythme du crescendo lumineux de l’arrière-plan féerique et de l’escalade textuelle. La tirade se termine comme elle a commencé, avec un «oui» éperdu de ressentir. Un «oui» qui répond ironiquement, après autant d’épanchements sur l’adultère, au souvenir de la demande en mariage de Léopold.
Dans l’ensemble, Cadieux livre un éloge du désir féminin lucide, quoique dépourvu de chaleur. La vulnérabilité du personnage aurait pu être mieux explorée et aurait ajouté une facette plus réaliste, plus humaine au portrait. Or, par moments, on a eu plutôt droit à l’effet d’une actrice qui s’écoutait parler, comme si le message était plus important que ce qu’il tentait d’exprimer. Le discours lourd d’allégories propre à Joyce s’envole rarement vers une portée plus accessible, ce qui confine malheureusement ceux qui peuvent pleinement apprécier la pièce à un cercle restreint d’initiés.
«Molly Bloom» est présentée à ESPACE GO jusqu’au 31 mai 2014.
L'avis
de la rédaction