LittératureRomans québécois
Crédit photo : Éditions XYZ
Est-il possible de s’épanouir dans la maternité lorsque l’on s’est déjà prostitué, lorsque le rapport que l’on entretient avec sa propre mère est conflictuel et que l’on consomme des drogues dures? Pour aborder cet abîme identitaire, l’auteure de 33 ans a opté pour un collage de très courts textes aux frontières perméables, qui se font écho dans un chaos organisé. Regroupées en quatre principales parties – Petits tableaux d’eau, de feu, d’air et de terre -, les anecdotes, en plus de mettre en scène l’un des éléments respectifs, sont toutes numérotées et surmontées d’un titre évocateur. Chaque fragment est porté par la voix rythmée et franche de la narratrice, à des moments épars de sa jeune vie. Au-delà du rapport anecdotique, la formule déconstruite de l’ouvrage investit à même le corps du texte un faux-fuyant complexe: Anne-Si est éclatée entre ce qu’elle voudrait et ce qu’elle se restreint à être.
Vivre une maternité «inadéquate» est encore un sujet marginal en littérature québécoise, surtout rapporté du point de vue de la mère. De là, Éloïse Lepage réussit à bien ébaucher le lien d’attachement problématique que sa narratrice entretient avec ses deux enfants, David et Marie-Célestine. L’accent est mis oui sur les causes, soit un passé marqué par les abus et la marginalité, mais aussi sur les effets de ce bagage sur les relations interpersonnelles d’Anne-Si. Parmi ces effets, une incapacité chez elle à extérioriser son amour et un manque apparent d’empathie. D’où l’intérêt d’un va-et-vient chronologique: il met en relief les zones d’ombre qui paralysent la narratrice. Car Anne-Si, davantage qu’une mère malhabile, se révèle à nous comme une gamine effrayée de devenir une femme. Toutefois, Petits tableaux n’est pas que lourdeur, et le récit est éclairci par un happy-ending réconfortant.
Dans son intention d’illustrer la fracture intérieure de sa narratrice, Lepage y va de métaphores crues, parfois même étonnamment directes pour le ton général du recueil. Cette absence de filtres sporadiques dans la langue tente d’accentuer le côté radical de la narratrice, comme cette fois où, devant sa travailleuse sociale, Anne-Si ingurgite un pichet d’eau et l’urine tout de go sur le plancher. Révolte enfantine pour signifier que rien ne se perd, rien ne se crée. Mais encore? Dans le même ordre d’idées, des images à connotation suggestive sont déposées ici et là à travers les tableaux, comme pour nous rappeler le statut social d’Anne-Si. Mais le résultat n’est pas toujours harmonieux, et semble forcé par endroit.
Mis à part quelques écarts malhabiles dans la prose, l’indépendance de chaque tableau et leur désordre chronologique donne la liberté aux lecteurs de reconstruire la temporalité du récit à leur guise. Petits tableaux peut facilement se lire d’un seul trait, ou plus lentement à la manière d’un recueil de poèmes. La courte longueur des chapitres permet certes de jeter un portrait élargi sur la narratrice, mais fait en sorte que l’on demeure toujours dans une connaissance superficielle de celle-ci. Faute de détails, on en vient même à se butter à une impression d’absence de revendication dans le récit. Quelles émotions l’auteure voulait-elle transmettre aux lecteurs? Pour endosser quoi au juste?
Si Petits tableaux ne peut renier une filiation avec Ru de Kim Thúy au niveau de la structure, le premier livre d’Éloïse Lepage nous laisse cependant sur une impression d’incomplétude. Comme si l’auteure avait pu pousser le récit plus loin et qu’elle ne l’avait pas fait, s’arrêtant dans son oeuvre au moment même où l’écriture naissait, précisément. C’est sans doute dans son deuxième roman que Lepage osera davantage poser les assises de son style, et de son intention réelle d’écriture. À suivre.
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de la rédaction