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Crédit photo : Éditions du Boréal
Traduit de l’anglais par Christiane Duchesne, Les aventures étranges et surprenantes d’Esther Brandeau, moussaillon s’ouvre sur la traversée de l’Atlantique du Saint-Michel, un navire français qui file tout droit vers la Nouvelle-France, avec à son bord un homme frêle et mystérieux nommé Jacques La Fargue. Le vaisseau à peine accosté dans le port de Québec, les autorités marines ne tardent pas à démasquer la réelle identité du jeune orphelin: il s’agit en fait d’une femme, Esther Brandeau. Menacée d’être renvoyée en France pour avoir transgressé les règles de l’époque, Esther se lance dans une succession de confidences et d’anecdotes sur son passé afin de convaincre les dirigeants de la colonie de la laisser poursuivre sa vie en Nouvelle-France.
La force de l’ouvrage de Susan Glickman se trouve sans doute dans la richesse des thèmes qui, malgré leur inscription historique dans le récit, sont encore très actuels. Entre autres, la notion d’inégalités entre les genres, les races et les religions, mais aussi cette pulsion paradoxale qu’a l’être humain à vouloir se définir en tant qu’être authentique et libre, mais qui ne peut réellement y arriver qu’à travers le regard et l’approbation d’autrui. À moins, comme l’héroïne, de tendre vers cette liberté à travers les avenues de l’imaginaire.
En ce sens, le titre du roman fait un évident clin d’œil à Vie et aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, ce livre chéri et appris par cœur par le personnage d’Esther pendant son enfance. Bien que la plume de Glickman tire ses influences dans le genre du roman d’aventures, les élans narratifs de l’héroïne nous rappellent davantage le conte, voire le récit fantastique. D’ailleurs, l’auteure maîtrise bien le flou qui s’inscrit entre les faits historiques véridiques et les ouvertures que permet la création, tout en valsant joliment avec l’ambiguïté vérité-mensonge au cœur même de la fiction.
Au fil de la lecture, plusieurs questions planent sur le destin énigmatique d’Esther Brandeau: Qu’a-t’elle cherché à fuir en quittant vers la Nouvelle-France? Comment a-t-elle réussi à étirer d’un an son séjour à Québec, alors qu’elle était condamnée à retourner en France dès son arrivée? Pourquoi désire-t-elle préserver à tout prix sa liberté? Si Susan Glickman, tout comme le lecteur d’ailleurs, n’a pas de réponses officielles à ces interrogations, l’auteure arrive néanmoins à donner du caractère et du charme au personnage d’Esther, mais aussi à nous faire ressentir l’inévitable solitude que cache la soif d’extraordinaire de la jeune femme.
Glickman réussit à créer des atmosphères tout en nuances, dans un style accessible et fluide, tenant le lecteur adroitement en haleine, malgré certaines longueurs. Le jeu narratif est habile, bien qu’à certains moments l’usage d’un langage plus adapté à la réalité de l’époque, notamment dans les dialogues, aurait servi au réalisme du récit. De plus, les aventures fabuleuses d’Esther auraient gagné à être empreintes d’une oralité plus évidente, afin d’appuyer davantage la prise de parole de la conteuse, ainsi que son besoin évident d’incarner ses récits pour se nommer, pour «être».
Bref, Les aventures étranges et surprenantes d’Esther Brandeau, moussaillon est une belle option pour un lecteur en quête d’un roman d’aventures accessible, qui se lit comme une brèche originale dans l’univers souvent contraignant et prévisible que propose habituellement l’imaginaire de la Nouvelle-France.
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de la rédaction