«Triptyque» de Robert Lepage – Bible urbaine

CinémaCritiques de films

«Triptyque» de Robert Lepage

«Triptyque» de Robert Lepage

Humain, sobre et puissant

Publié le 25 octobre 2013 par Ariane Thibault-Vanasse

Crédit photo : Les Films Séville

L’attente est maintenant terminée pour les admirateurs de l’œuvre filmique de Robert Lepage: Triptyque est maintenant sur les écrans. Après une absence derrière la caméra qui dure depuis La face cachée de la lune, l’homme de théâtre signe une expérience cinématographique intelligente et des plus réussies.

Il s’agit de la première réalisation cinématographique depuis dix ans pour Robert Lepage. Son dernier film, La face cachée de la lune, avait aussi été présenté en ouverture au Festival du nouveau cinéma (FNC) avant sa sortie. C’est cependant Le Confessionnal (1995) qui a ancré le réalisateur dans le paysage cinématographique québécois. Certains éléments de ce film culte reviennent dans Triptyque comme les murs qui s’effacent et les jeux de reflet dans les miroirs et les fenêtres. Ces effets de langage permettent d’être submergé par l’intériorité des personnages.

Adapté de la pièce de théâtre Lipsynch, écrite et mise en scène par Lepage, Triptyque explore les méandres de la mémoire et entrecroise le destin de Michelle, une libraire schizophrène (Lise Castonguay), Marie, sa sœur qui est chanteuse et actrice (Frédérike Bédard), et Thomas, un chirurgien neurologiste (Hans Piesbergen). Lepage et Pires illustrent en tandem une fresque contemporaine avec pour canevas La création d’Adam du plafond de la chapelle Sixtine et L’incrédulité de Saint-Thomas du Caravage. Les clairs-obscurs sont d’ailleurs omniprésents et accentuent la dualité qui sommeille dans chaque personnage. Le trio formé par Michelle, Marie et Thomas empruntera un itinéraire qui les emmène de Québec à Londres jusqu’à Montréal. Les thèmes de la mémoire, du langage et de l’identité forment une trinité éternelle. Ils s’engageront vers les chemins sinueux du cerveau et ces multiples facettes. D’ailleurs, pour Lepage, chaque film québécois creuse toujours davantage cette question récurrente afin de mieux se reconnaître.

Le montage est brillant et enfile les raccords métaphoriques à un rythme constant, presque de manière métronomique et comme si le film était infini. Les images en superposition de Pedro Pires renvoient à la folie de Michelle, à ses peurs, voix et fantasmes qui prennent vie dans sa tête. Sa sœur Marie aussi se fait gruger le cerveau par la maladie, une vilaine tumeur qui la brimera de son élocution (handicap majeur pour cette chanteuse), puis du souvenir de la voix de son père, celle qui se cache dans la sienne et qu’elle ne peut plus retrouver.

Alors que le langage est un enjeu important dans le film, l’hommage au dramaturge et poète Claude Gauvreau est finement souligné. Triptyque est empreint de la langue inventée de Gauvreau laquelle berce le personnage de Michelle, qui comprend dans le poème «Mon Olivine» des mots qui rejoignent ses fantômes qui se bousculent pour l’effacer de plus en plus. 

Mon Olivine
Ma Ragamuche
Je te stoptatalère sur la bouillette mirkifolchette

Lepage s’entoure à nouveau de Pedro Pires, artiste et réalisateur, avec qui il avait travaillé lors de la création du spectacle Totem du Cirque du Soleil. Ce dernier a réalisé notamment le court-métrage Danse Macabre, qui lui a valu trente-trois prix internationaux jusqu’à ce jour. Les artistes s’étaient éloignés du «milieu du cinéma trop contraignant», ont-ils avoué au dernier Festival international du film de Toronto. Cette longue absence vaut néanmoins la peine. Lepage n’a rien perdu de sa maîtrise du septième art et persiste malgré lui à enraciner l’idée que l’on se fait de lui: celle du plus grand créateur québécois.

L'avis


de la rédaction

Vos commentaires

Revenir au début