LittératureRomans québécois
Crédit photo : Stanké
Pas facile de ressortir indemne d’une telle tragédie; encore moins lorsque les ravages de l’accident ont laissé des traces indélébiles sur notre corps. Dans le cas d’Henrietta, qui souffre d’ostéomyélite, une infection de l’os et de la moelle osseuse, et qui a dû bénéficier de nombreuses chirurgies esthétiques pour retrouver un semblant de visage, voire un approximatif de sa beauté de naguère, il n’est pas évident de croire toujours au bonheur, encore moins à la vie. «Pour ce qui est de mon estime de moi, c’est plus complexe. Les chirurgies ne sont pas parvenues à m’en greffer une», s’exclame-t-elle pendant un de ces nombreux instants de découragement, qui n’ont de cesse de la hanter, comme le Malheur.
Toutefois, le roman Du bonheur pour Henrietta n’est pas seulement la mise en mots de cette conscience ravagée par le désespoir. Ce n’est pas non plus l’échappatoire d’une jeune femme qui désire rendre ses comptes ou blasphémer en vain contre les malheurs de la vie. Fragile, il est vrai, Henrietta tarde à retrouver le sourire, et ce, même une fois devenue adulte, mais sa parcelle de bonheur réside en la personne de ses grands-parents Samuel et Adrienne qui ont toujours agi comme de vrais parents, du moins plus que sa mère toxicomane Roxane, mais aussi dans sa passion de devenir une astrologue accomplie, rêve qu’elle caresse depuis sa plus tendre enfance.
Denis Fortier, par sa plume élégante et sensible, a su donner vie à un personnage féminin brûlant de sincérité, à un point tel que le chevauchement des voix narratrices nous fait parfois regretter de ne pas avoir eu le privilège de demeurer avec Henrietta jusqu’à la toute fin. Car, bien que la jeune femme donne le coup d’envoi à ce roman épistolaire en adressant son journal à Marly, sa meilleure amie, sa sœur cosmique, sa jumelle siamoise aujourd’hui décédée, la seconde partie du roman se retrouve entre les mains de Samuel, son grand-père, pour se clôturer avec les dires d’Adrienne, sa grand-mère.
Bien que chacun d’entre eux apporte une série d’anecdotes biographiques qui nous éclairent un peu plus sur Henrietta et sa relation avec sa mère Roxane, on peine par moments à comprendre pourquoi l’auteur a décidé de jongler entre trois voix narratives. On constate, avec l’avancement du récit, que cette histoire n’a pas été écrite pour faire tirer les larmes des yeux des lecteurs, mais plutôt pour apporter un éclairage nouveau sur cette histoire universelle. Car la tragédie d’Henrietta ne tourne pas uniquement autour de l’incendie; on apprend à connaître la personnalité tourmentée de cette jeune fille marginalisée, d’où l’aide précieuse de ses grands-parents, qui a trouvé un refuge à travers sa passion pour les étoiles, la musique de John Lennon et ses peluches, son éléphant rose et sa tortue Tordue qu’elle s’amuse à animer.
Arrivée à la dernière page, on a l’impression d’avoir assisté à une prise de conscience mature et d’avoir à quitter cette attachante Henrietta pour laquelle nous nous étions solidement attachés. C’est signe qu’à travers l’écriture on réussit toujours à réaliser notre sort et à retrouver une parcelle de bonheur.
«Du bonheur pour Henrietta» de Denis Fortier, Éditions Stanké, 191 pages, 24,95 $.
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de la rédaction