ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yanick Macdonald
Impossible de raconter une histoire claire et continue pour décrire Tout ce qui n’est pas sec. Outre le confinement des six personnages dans une pièce aux allures de gymnase d’école secondaire de laquelle ils sont incapables de sortir, aucun élément de ce qui est raconté n’est assez net ou stable pour faire partie d’une ligne narrative concrète. Est-ce que cette captivité est une métaphore de notre emprisonnement dans notre propre corps, dans nos propres pensées? À l’opposé de l’eau – thème qui lie dans cette pièce toutes les choses entre elles –, qui se faufile partout et s’infiltre dans toutes les matières, sommes-nous trop rigides et incapables de nous libérer?
Alors qu’il utilise des bottes de pluie qui tombent du ciel comme une métaphore pour se demander s’il est possible de sortir de soi, Simon Lacroix prouve qu’il maîtrise à merveille l’art d’insérer de grands questionnements philosophiques dans un chaos qui semble imprévisible, mais qui est tout à fait contrôlé. Malgré tout, à l’instar de ces fameux cours de philosophie, il ne faut pas voir en Tout ce qui n’est pas sec des réponses à ses remises en question, puisqu’on en ressort plutôt avec davantage de questions encore.
Pourtant, c’est presque un sentiment de l’enfant qui regarde une émission jeunesse qui se veut éducative qui nous assaillit en tant que spectateur. Joués gros – sans surjouer! -, les drôles de personnages passent d’une expérience à l’autre pour tenter de comprendre un comportement ou une réalité, en s’interrogeant sur l’insuccès, puis en tentant à nouveau l’expérience et en s’exclamant de bonheur – «Tiens, c’est intéressant, ça!» – lorsque ça fonctionne, avant d’expliquer la réussite, telle une morale suggérée aux tout-petits.
C’est donc l’esprit ouvert qu’il faut se rendre au Théâtre de Quat’Sous afin de, comme les comédiens, plonger dans l’univers de Simon Lacroix. En devant jongler avec les voix enregistrées, les sons et éclairages variés et efficaces, les pieds dans l’eau et les sauts inattendus entre plusieurs sujets sans lien – comme ces drôles de dialogues entre Knut et Sigrid –, Félix Beaulieu-Duchesneau (à la présence soutenue et solide), Amélie Dallaire, Kathleen Fortin (aussi épatante dans un registre plus naïf et comique que dans les moments plus tragiques), Denis Houle, Simon Lacroix et Diane Lavallée ont très bien plongé, et mériteraient sans doute une médaille olympique, ne serait-ce que pour cette remarquable scène où les six sont en parfaite symbiose!
Car ça n’est pas une mince affaire de se remettre en question et de se libérer du poids de l’incompréhension de ce qui nous entoure, de ce qui est plus grand que nous, ce pour quoi nous n’aurons jamais de réponse. Qui est-on? Qu’est-ce qui fait ce que nous sommes? A-t-on des trous en nous, et comment les remplir? Ce genre de vides existentiels dans lesquels il fait peur de plonger…Mais il ne faudrait surtout pas trop analyser les composantes de cette pièce, comme pour le riz mentionné par Beaulieu-Duchesneau qui ne fait pas du tout référence à nos relations avec l’Asie. Il ne semble pas y avoir d’objectif concret au spectacle, sinon le divertissement et, bien sûr, le questionnement.
Insérant d’ailleurs de jolie façon dans sa pièce une fausse rencontre entre les artistes du spectacle et le public, Simon Lacroix avance lui-même que la création d’une pièce n’est qu’une façon tout à fait égocentrique de faire son grand spectacle, avec des scènes colorées, pour faire parler de lui. Prise au premier degré, Tout ce qui n’est pas sec pourrait effectivement être perçu de cette façon, mais il faut prendre le temps de ressasser ce raz-de-marée de mots, d’images et de propositions originales pour voir clair dans ses abysses.
La pièce Tout ce qui n’est pas sec, écrite par Simon Lacroix et mise en scène par Charles Dauphinais, est une création du Théâtre de Quat’Sous et du Théâtre SDF (Sans Domicile Fixe). Elle est présentée jusqu’au 12 avril 2015.
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