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Crédit photo : Éditions Alto
Les Luminaires est le deuxième roman d’Elenaor Catton, écrivaine néozélandaise de 29 ans née accidentellement en Ontario – ce qui explique qu’elle ait remporté le prix du Gouverneur général. Plus important encore, ce livre lui a valu le prix Man Booker en 2013. Ses qualités sont effectivement multiples, tant dans la forme que dans le fond. L’intrigue se situe à l’époque victorienne, époque où l’empire britannique, à son apogée, permettait aux plus modestes des hommes d’espérer s’élever dans l’échelle sociale, et la ruée vers l’or en Nouvelle-Zélande y contribua. Ceux qui se lançaient dans l’aventure couraient la chance de faire table rase de leur passé, mais non sans risque.
Soleil et lune en conjonction
Le soir du 14 janvier, Emery Staines, le plus jeune et le plus riche des prospecteurs du coin a disparu mystérieusement et une putain, Anna Wetherell, a tenté de mettre fin à ses jours. Un homme a été retrouvé mort dans sa maison en forêt, avec une fortune en lingots d’or, par un politicien en tournée électorale. Un malfrat craint et haï, une spirite malhonnête, de petits employés ambitieux, un geôlier rancunier; une promesse de vengeance, une malle égarée, un naufrage, deux coups de pistolets. L’énigme enchevêtre les événements, fortuits ou calculés, en suivant la carte du ciel de l’époque. Les «luminaires», à savoir la lune et le soleil, représentent les deux jeunes gens autour desquels tous les autres personnages se positionnent. Catton a structuré son ouvrage en fonction des positions relatives des planètes (associées à des personnages) et des constellations, mais cette couche supplémentaire de sens n’altère en rien la fluidité de la lecture (heureusement, en fait).
Patience et longueur de temps…
Empruntant un style foisonnant et précis à la Dumas, une conduite narrative à la Dickens, Catton nous plonge dans une atmosphère de far west aux effluves d’opium. Ce quasi pastiche du style très dix-neuvième siècle pourrait en agacer certains. Toutefois, la maîtrise linguistique dont fait preuve l’auteure (à laquelle la traduction rend justice) subjugue et séduit, notamment dans la profondeur et la finesse des portraits psychologiques. À tour de rôle, la vingtaine de personnages nous est présentée (deux femmes, dix-huit hommes), les motivations de chacun nous sont révélées. Si ces incursions dans leur histoire personnelle relâche le suspense en déplaçant le point focal, elles enrichissent le tableau qui se crée en nous le faisant voir en plusieurs dimensions et sous plusieurs angles.
Nous avons donc affaire à un roman de grande envergure, faussement polyphonique dans la manière dont le narrateur omniscient enlève la parole aux personnages livrant leur témoignage. «Le récit de Balfour, embrouillé par les interruptions et alourdi par le style passionné du conteur, devint de plus en plus confus (…). Nous en retrancherons ici les imperfections (…)». La structure non linéaire superpose l’enquête du lecteur, qui obtient des renseignements privilégiés, à celle des personnages qui ont tous, à divers degrés, un intérêt à satisfaire, dans des allers-retours chronologiques qui sèment les indices. Il faut quand même dire que le dénouement n’est pas une surprise, il s’étale sur quelques chapitres qui viennent attacher tous les fils. De toute façon, après 850 pages, ce n’est pas la pièce manquante au puzzle qui tient le lecteur accroché, mais bien le souffle soutenu de l’œuvre et le plaisir d’arriver au bout du parcours après en avoir sillonné toutes les ramifications.
Les Luminaires, d’Eleanor Catton, traduit de l’anglais par Erika Abrams, 987 pages, est publié aux éditions Alto.
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de la rédaction