SortiesDanse
Crédit photo : Julie Artacho et Maxime Pronovost
Dans un premier temps, c’est Caroline Gravel qui occupe l’espace scénique avec Ma mère est un mâle alpha, une œuvre créée en 2012. Dans cette version retravaillée de 25 minutes, l’artiste enchaîne une série de courtes capsules gestuelles. Elle frotte le plancher de ses pieds, s’essaye à une arabesque, secoue violemment la tête, le tout avec un mélange d’application et de maladresse. Un peu comme une enfant, Gravel explore des textures et s’imprègne de sensations. On y retrouve une belle qualité de gestes, subtils et précis, sans toutefois être en mesure de cerner un vocabulaire ou une direction. La série reste une structure ouverte qui véhicule quelque chose d’aléatoire et d’étrangement impersonnel.
L’effet s’avère paradoxal quand on sait que le spectacle résulte d’une démarche introspective par laquelle Gravel a cherché à réactiver son propre «héritage gestuel». Par là, elle entend surtout les gestes acquis grâce à l’imitation des membres de sa famille. Ma mère est un mâle alpha se veut ainsi une sorte de biographie physique, où l’identité se définit par les motions profondément inscrites dans la mémoire corporelle, qui est aussi une mémoire familiale et culturelle.
Si cette notion identitaire s’avère des plus stimulantes, il faut cependant admettre que dans son expression, une partie du sens nous échappe. C’est peut-être là tout le propos de l’œuvre. Gravel a bien conscience de cette distance infranchissable, qu’elle met en évidence à plusieurs reprises au cours de la performance en interpelant les spectateurs. «If no one was watching I would move like crazy all of the time», lance–t-elle de manière à souligner l’interférence à la fois dérangeante et inévitable du regard des autres, ainsi que la part de soi-même qui demeure irrévélée.
Après l’entracte, c’est au tour de Guillaume Lambert d’entrer en scène pour une performance déjantée de 45 minutes. Le comédien et réalisateur québécois, jouant son propre rôle, manipule les artéfacts hétéroclites de sa vie et expose des talents qui virent au grotesque. La chorégraphe Sarah-Ève Grant aborde ainsi la thématique identitaire sur un ton plus acerbe, où l’introspection se voit subvertie par la mise en scène narcissique de soi.
Le registre des révélations va du détail futile, tel que le nom du cochon d’inde de l’enfance, Rodolphe, jusqu’à la lecture d’écrits intimes. Le tout s’enrobe de l’esthétique suave et brillante d’un tour de magie que l’on aurait combiné à une info pub. Dans un passage particulièrement drôle, le comédien fait jouer le vidéoclip de Marie-Mai dans lequel il a figuré, pour crier à plein poumon «Guillaume Lambert!» à chaque fois qu’il se voit à l’écran. Il s’adonne plus tard au Ice Bucket Challenge et invite les spectateurs à mettre une photo de l’événement sur Instagram, tandis qu’une table pleine de produits dérivés à son effigie est amenée sur la scène.
Si on peut être las du commentaire pessimiste sur les nouvelles technologies, la pièce de Grant réussit tout de même à dépasser la plate critique du selfie pour toucher, comme Gravel, à la difficulté de se définir, de se communiquer, voire à l’impossibilité d’échapper à sa propre spectacularisation. L’authenticité n’est-elle rien d’autre qu’une posture publique? Au beau milieu de la représentation, la question cruciale est prononcée : «Qui est Guillaume Lambert?». Percutant.
L'avis
de la rédaction