LittératureRomans québécois
Crédit photo : VLB
Le Phénix est un crématorium qui offre ses services luxueux à l’élite financière et culturelle de la société. Un endroit où les bobos se recueillent une dernière fois en l’honneur d’un être cher. Le propriétaire des lieux répond au nom d’Ernesto DaSiggi, bien qu’il ne soit pas du tout Italien et que l’on puisse lire Ernest Sigouin sur son baptistaire. Cet homme était destiné au métier de boucher, il devait prendre la relève du commerce ayant appartenu à son père et à son grand-père. C’est sa femme qui est responsable de ce changement de carrière et de la prémisse de l’histoire. En effet, l’orgueil de mâle de DaSiggi réagit très mal à un article au sujet du Phénix consacré exclusivement à sa femme. Ne voulant pas être dans l’ombre de cette dernière, il se décide à prouver son savoir-faire. C’est l’ouverture d’un grand thème du roman. L’homme décrochera ainsi un contrat en tentant d’être autonome sur le plan professionnel. Il a pour mission d’organiser les obsèques des victimes d’un incident survenu lors d’un spectacle de cirque.
Crématorium circus raconte une quête de la virilité. Pour reprendre les mots de l’auteure, c’est l’histoire d’un homme qui «essaie de s’inventer une paire de couilles». En tant que lecteur et témoin, on se demande dès le début s’il ira trop loin dans cette tentative d’affirmation.
Le roman est peuplé de personnages uniques et intéressants. Outre ce propriétaire au vocabulaire italien très restreint, il y a sa femme Frugère Lalancette à l’origine de l’ouverture du crématorium. On retrouve aussi un personnage que Roxanne Bouchard avait introduit avec La gifle, alors que Gonorès Milenna se trouve être plus qu’indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise. C’est grâce à elle que DaSiggi réussira à décrocher le contrat qu’il convoitait. Cette (vraie) Italienne est particulièrement appréciée par le directeur du cirque, client de la semaine du Phénix crématorium. Ce personnage au nom interminable ne sort jamais de son rôle. De ce fait, une atmosphère de cirque se dégage très bien des dialogues rythmés qui le mettent en scène, on se croirait sous le chapiteau, alors qu’il teinte toute ses répliques de «Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs». Sans oublier Oscar Bellemare, thanatologue accompli ayant sans doute son métier un peu trop à cœur et qui cause des soucis financiers au propriétaire qui en a visiblement plein les bras.
La structure du livre est un autre élément qui fait en sorte que Crématorium circus se distingue de la masse. L’action s’étale sur une semaine et chaque chapitre correspond à une journée. On remarque qu’en une semaine il s’en passe des choses! À la fin de chacun de ces chapitres, on retrouve un texte publicitaire qui fait la promotion des services du Phénix crématorium. En plus de ces publicités (toutes plus absurdes les unes que les autres) qui tentent de nous vendre la mort, l’auteure a glissé de nombreux slogans un peu partout. Ainsi, le thème traité dans le roman aurait pu être lourd, mais ne l’est pas du tout puisqu’il est traité à la légère et avec beaucoup d’humour. Notons aussi à quel point les derniers chapitres s’enchaînent de façon effrénée, laissant le lecteur à bout de souffle et impatient de lire la conclusion. Il reste tant de questions auxquelles répondre et si peu de pages. Le rythme soutenu de la seconde moitié du roman mène à une conclusion qui s’annonce grandiose.
N’empêche, la cerise sur le sundae s’avère la narration déjantée que nous offre Bouchard. Une belle complicité s’installe entre le lecteur qui suit l’action par le biais d’une narratrice qui est un personnage en soi. Les commentaires de cette narratrice-auteure (qui ne se prend pas au sérieux) sont drôles et elle nous rappelle que «ce n’est qu’un roman». Cette narration subjective nous offre aussi un changement de perspective intéressant, alors qu’elle nous présente le revers de la médaille de la situation entre DaSiggi et sa femme. Le lecteur s’était rangé du côté d’Ernesto lors des deux premiers chapitres, mais dès le début de la troisième journée l’auteure nous force à revoir notre opinion: «Frugère Lalancette […] est-elle vraiment cette exécrable manipulatrice perverse et profiteuse dépeinte par son mari?». L’auteure teste son héros et nous le fait savoir. En tant que lecteur, il faut accepter d’embarquer dans ce jeu avec la narratrice. Si vous êtes de ceux qui aiment lire les remerciements à la fin d’un roman, vous remarquerez que Roxanne Bouchard remercie le lecteur d’avoir participé.
Crématorium circus s’avère donc une lecture amusante dont la seule longueur réside dans le nom de certains personnages. L’histoire progresse efficacement et les retours dans le temps sont pertinents, nous laissant en apprendre davantage sur les protagonistes. Roxanne Bouchard vous fera rire en vous offrant des scènes loufoques dignes de numéros de clowns. Si l’action se déroule dans un crématorium, l’ambiance est bel et bien celle d’un cirque. Comme aurait dit Ernest Sigouin (père), ce roman est «à la fois moderne et authentique».
Dans la même série:
- Stéphane Dompierre, Corax
- Geneviève Janelle, Odorama
- Véronique Marcotte, Coïts
- Patrick Sénécal, Quinze minutes
L'avis
de la rédaction