ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Noble théâtre des trous de siffleux et Silène Beauregard
Une nuit qui s’annonçait glorieuse et festive bascule lorsque l’orgueil masculin du chasseur n’ayant pas réussi à tuer son buck s’enflamme et fait en sorte qu’Alain tire, tire encore, et achève à grands coups de couteau… une vache. Celle du vieux Sénile, celle qui ne peut plus donner de lait, de toute façon. Sauf que le vieux Sénile y est passé aussi, même si Alain «voulait pas que ça finisse de même».
Affolé et couvert de sang, Alain (Martin Dubreuil, saisissant) se réfugie chez son meilleur ami Marco, à qui il se doit de raconter son aventure dans les moindres détails. Le hic, c’est que Marco, du moins son interprète, Hubert Proulx, qui doit, selon les sous-entendus, être son âme sœur amicale, presque son frère, ne semble pas s’étonner, se choquer ni même s’alarmer du récit sanguinaire d’Alain. Malgré la justesse du jeu dans les envolées en monologues et la présence bien ancrée des comédiens sur scène durant l’ensemble de la pièce, il y a là, dès le départ, un manque qui ne saura se combler tout au long de l’heure que durera la représentation.
Pourtant, quelques minutes plus tôt, il semblait très inquiet en voyant le sang dans le visage de son ami. Mais alors que les spectateurs découvrent avec horreur l’ampleur des dégâts, Marco est là, tranquille, buvant sa bière, pendant qu’Alain gesticule et se démène carrément en racontant son histoire. Est-ce que c’est dès ce moment que l’hypocrisie a pris tout l’espace en Marco, le faisant écouter d’une oreille seulement tout en planifiant déjà ce qu’il ferait de ces aveux? On aurait tout de même aimé un peu plus de spontanéité et de sincérité durant cette scène, et donc de réactions de la part d’un homme qui se fait quand même avouer un meurtre commis par nul autre que son meilleur ami.
Malgré tout, et malgré le choix du metteur en scène d’avoir retranché de la représentation certaines répliques qui aurait permis de mieux saisir l’importance de l’amitié entre les deux protagonistes, Le chant de Meu offre de belles scènes de complicité entre les deux comédiens. La plus belle est sans doute ce moment où, en voix off, des policiers viennent s’emparer d’Alain après que Marco et sa bonne conscience l’aient dénoncé. Pendant ce temps, sur scène, les deux comédiens demeurent silencieux, mais leurs regards sont chargés de non-dits (de stupéfaction, de reproches, de déception). Le moment est probablement encore plus saisissant du fait qu’on ne voit pas l’action à proprement parler, mais qu’on ne fait que se l’imaginer.
Mais il y a effectivement plusieurs répliques du texte, publié le 14 novembre dernier aux éditions Somme Toute, qu’on a choisi ici de mettre de côté, qui auraient d’une part permis de mieux saisir l’ampleur de la rupture amicale, et d’autre part de briser ces longues tirades en monologues en dynamisant quelque peu les échanges. Benoît Desjardins a décidé de miser sur les non-dits, sur la simplicité, autant dans les rapports entre les deux personnages que dans la mise en scène et dans les décors, mais cela laisse parfois de petits manques, de petits vides qu’on aurait préféré combler.
On peut pourtant faire de grandes choses avec peu d’éléments, c’est d’ailleurs le cas quand Alain utilise de jolie façon la lumière du petit réfrigérateur (presque le seul élément de décor, avec une chaise) pour illustrer les phares d’une voiture dans son récit. Il faut dire que l’écriture de Robin Aubert est teintée de la poésie cinématographique, où tout est possible, rendant certainement la transposition à la scène moins aisée et faisant en sorte qu’on doive faire des choix simplifiés.
Celui de terminer la pièce avec un faisceau lumineux sur la chaise, vide, est ainsi des plus simples, mais des plus éloquents. Une amitié a été rompue, parce que le remords de ce que l’un et l’autre a fait aura pris la place de l’hypocrisie et même de l’honnêteté. Inutile de faire semblant, impensable aussi de faire comme avant. Le chant de Meu est marqué à jamais dans leurs esprits et ça, dirait Robin Aubert, c’est quelque chose qui déplace les autres souvenirs dans la tête, pour mettre juste celui-là en avant-plan.
Une production du Noble théâtre des trous de siffleux, la pièce Le chant de Meu, écrite par Robin Aubert, mise en scène de Benoît Desjardins, et mettant en vedette Hubert Proulx et Martin Dubreuil, sera présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 6 décembre 2014.
L'avis
de la rédaction