LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Olivier Hanigan
Jean-Sébastien, nous sommes ravis d’échanger avec vous aujourd’hui! Vous qui avez été journaliste et rédacteur jusqu’en 2016 et qui avez signé plusieurs essais (dont Devenir son propre patron? Mythes et réalités du nouveau travail autonome (Écosociété, 2001) ou Le Petit Wazoo: initiation rapide, efficace et sans douleur à l’œuvre de Frank Zappa (Triptyque, 2010)), on est curieux de savoir: d’où vous est venue la piqûre pour l’écriture?
«Je ne me souviens pas à quand remonte cette piqûre pour l’écriture. Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours aimé écrire (et lire).»
«Lorsque je travaillais comme journaliste, je considérais que le livre était un support écrit parmi d’autres. Les titres que vous citez dans votre question, mes ouvrages sur le travail autonome des années 1990 et sur l’auteur-compositeur-interprète Frank Zappa, ont été rédigés comme de longs reportages.»
«Une piqûre est survenue pendant mes études au cégep, celle de la recherche documentaire. J’adore me documenter à fond sur un sujet. Pour mon petit bouquin sur Frank Zappa, j’ai écouté et réécouté toute son œuvre (une soixantaine de disques édités de son vivant, des dizaines d’albums posthumes), lu tous les livres que j’ai pu dénicher en français et en anglais, sans oublier une grande quantité d’articles de journaux et de magazines, des sites et forums internet. Je n’en avais jamais assez.»
«L’une des activités que j’aime le plus, c’est documenter quelque chose pour en extraire la substantifique moelle. Je peux rédiger la synthèse de n’importe quoi. Écrire le livre définitif sur le hot-dog ketchup relish moutarde. Rédiger une histoire du volleyball féminin de plage. Dévoiler toute la vérité sur les patins à roulettes disco…»
«Donnez-moi un sujet, je le documenterai et je le résumerai pour vous.»
Vous êtes également l’auteur de la série Histoire populaire de l’amour au Québec, dont le troisième tome «De la Nouvelle-France à la Révolution tranquille» (qui couvre les années 1860-1960) vient tout juste de paraître aux Éditions Fides. Au fil des pages, vous abordez notamment les aspects de «séduction, fréquentations, nuptialité, vie conjugale et familiale, séparation, divorce, bigamie, adultère, homosexualité, pornographie, prostitution, sans oublier les célibataires, les veufs, les veuves et les individus entrés en religion» qui ont rythmé ce siècle. Sur quelles sources d’information vous êtes-vous basé pour brosser ce portrait unique et atypique de notre Belle Province?
«Fidèle à mon habitude, je me suis documenté jusqu’à saturation. J’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur l’histoire de nos mœurs, hanté les rayons de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Il existe de nombreux ouvrages et articles savants sur les Filles du roi, le mariage, la famille, la séparation, le divorce, le veuvage, la prostitution, le féminisme, l’homosexualité, etc.»
«On trouve aussi à la BAnQ beaucoup de biographies et d’autobiographies, des correspondances et des journaux intimes. Mon travail consistait à me farcir cette documentation et à la résumer dans un récit accessible.»
«Je ne suis pas un historien ou un archiviste qui manipule avec des gants de plastique de fragiles documents d’époque, qui tente de découvrir de l’inédit et de faire reculer les frontières du savoir. En travaillant comme un journaliste, j’ai plutôt retenu les sources documentaires les plus crédibles sur l’amour au Québec et je les ai utilisées pour raconter une histoire.»
«J’ai mis en scène quelques personnages connus du public québécois (Louis-Joseph Papineau et sa famille, par exemple), vulgarisé au maximum, assaisonné le tout de faits divers.»
On comprend que vous revenez sur les faits historiques et sociétaux qui ont influencé la destinée amoureuse des Québécois, comme l’industrialisation, les premiers combats des féministes, les deux guerres mondiales et l’apparition de la société de consommation. Pourriez-vous nous expliquer en quoi ceux-ci ont joué un rôle clé dans le rapport à l’amour qu’a pu avoir notre population?
«Cette question ratisse large… Pour faire court, il faut rappeler que l’histoire du Québec a été marquée par quelques ruptures, des bouleversements qui ont atteint les individus jusque dans leur vie intime.»
«L’industrialisation a provoqué des déplacements de population (ces ruraux qui venaient chercher du travail dans les usines), a créé une classe ouvrière qui s’entassait dans des logements insalubres au sein de villes polluées, avec des répercussions sur la rencontre, le mariage, la vie familiale.»
«Pendant les guerres mondiales, surtout la seconde, des milliers d’hommes sont partis au front (plusieurs ont fréquenté des prostituées et, de retour à la maison, ont propagé la syphilis, la gonorrhée ou le chancre mou), et des milliers de femmes ont investi le marché du travail. En 1943, le gouvernement fédéral a ouvert des garderies pour soutenir des mères employées dans l’effort de guerre. De quoi chambouler les rapports entre les sexes.»
«La société de consommation, enfin, a vu apparaître de nouveaux lieux de rencontre (tenus par des commerçants et accessibles en voiture), les futures mariées recevaient quantité de cadeaux lors de showers, et le mariage est devenu une industrie très lucrative.»
Il paraît que ce livre est «bourré d’anecdotes souvent déconcertantes»! Y en a-t-il une petite que vous seriez prêt à nous révéler ici, pour offrir un avant-goût à nos lecteurs de ce qu’ils découvriront en lisant votre ouvrage?
«Avec plaisir! Voici une anecdote que je trouve très étonnante.»
«Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une femme originaire d’Ottawa, Antoinette Arsenault, s’est déguisée en homme pour se faire embaucher dans une usine de munitions de Sainte-Thérèse, sous la fausse identité d’André-Pierre Arsenault. Passer pour un homme lui permettait de gagner un meilleur salaire.»
«Puis, l’amour s’en est mêlé: “monsieur” Arsenault et une collègue de travail, Eugénie Ouellette, se pâmaient l’un pour l’autre!»
«Leur mariage a été célébré à Montréal le 14 février 1942. Imaginez la réaction de la mariée lors de la nuit de noces…»
«Reconnue coupable par un tribunal de falsification de son état civil, Antoinette Arsenault a été condamnée à 23 mois de prison.»
Et alors, à court ou moyen terme, quels sont vos prochains projets d’écriture? On aimerait bien savoir si vous songez à nous offrir une première prise de recul sur l’histoire populaire de l’amour au Québec des années 1960 à aujourd’hui, par exemple…
«Désolé de vous décevoir, le troisième tome de la série Histoire populaire de l’amour au Québec est le dernier. Après avoir consacré dix années à ces livres, j’ai envie de passer à autre chose.»
«À propos de la Révolution tranquille… Je crois que cette période de notre histoire doit être réévaluée sans complaisance. On a trop vanté, mythifié, sacralisé cette Révolution avec un grand R, dont l’héritage est moins imposant qu’on le dit. La société québécoise a énormément changé à l’époque, c’est vrai, mais cette parenthèse s’est refermée au début de la décennie 1980. Depuis, nous redevenons ce que nous étions avant.»
«En ce qui concerne les mœurs, des traits du Québec pré-Révolution tranquille se confondent avec notre présent. Le conservatisme et le conformisme ont repris le dessus depuis les années 1980, la morale de curé aussi. La pression sociale qui pousse les célibataires à “se caser” reste la même. La rencontre amoureuse est encore difficile, frustrante. La résignation conjugale de jadis, «pour le meilleur et pour le pire» a été remplacée par une injonction “réussir son couple”.»
«L’union libre ressemble souvent à la prison du mariage. L’infidélité demeure un tabou et le commerce du sexe, un puits sans fond d’hypocrisie. Comme avant.»