CinémaZoom sur un classique
Crédit photo : Photo à la une: image tirée de l'oeuvre «La Vie heureuse de Léopold Z» de Gilles Carle
Cette oeuvre nous apparaît comme l’une des plus propices à ce Zoom sur un classique – Spécial Saint-Jean, tellement elle est ancrée dans l’identité québécoise, notamment grâce à ses personnages, son récit, ses commentaires sur l’architecture montréalaise, son positionnement historique en tant que document de la Révolution tranquille et produit de l’émergence du cinéma national québécois.
Voici notre petit tour d’horizon des éléments qui font de La Vie heureuse de Léopold Z un chef-d’œuvre bien de chez nous.
Un documentaire devenu fiction: l’histoire de personnages à haute teneur symbolique
La vie heureuse de Léopold Z est né d’une commande de l’ONF à Gilles Carle, alors scénariste et documentariste employé par l’agence. Cette dernière venait tout juste de s’installer à Montréal en 1957. Et cela a tout changé pour l’émergence du cinéma d’ici: on donnait pour la première fois à une aussi grande échelle beaucoup de moyens aux francophones du Canada pour qu’ils réalisent leurs propres films à partir de chez eux. C’est de cette initiative que sont nés les fers de lance du mouvement du cinéma direct québécois, dont font partie Gilles Groulx, Pierre Perrault, Michel Brault, et Gilles Carle.
Encore aujourd’hui, le cinéma direct représente, dans l’imaginaire de bien des Québécois, le mouvement le plus significatif de leur cinéma national. Parallèlement aux changements sociaux, économiques et culturels que la Révolution tranquille a emmenés avec elle, le cinéma direct est arrivé comme un vent de modernité dans le septième art d’ici.
Courant hybride entre documentaire et fiction: le but de ses cinéastes était de «nommer» le «pays» du Québec, lui donner des images et des histoires pour qu’il se reconnaisse lui-même, et ce, en même temps que naissait le nationalisme québécois.
Ce projet n’avait alors jamais été entrepris avec autant d’ambition.
L’ONF a donc demandé à Gilles Carle de réaliser un court documentaire sur le déneigement à Montréal. Ce dernier est plutôt arrivé avec une fiction de 75 minutes avec un déneigeur comme personnage principal.
La vie heureuse de Léopold Z débute dans les rues des quartiers populaires de l’est de Montréal, où vit et travaille Léopold «Z» Tremblay. Il est déneigeur de métier. On le voit déambuler partout, conduisant son chasse-neige. C’est la veille de Noël. On le suit du lever du jour jusqu’à la messe de minuit. Il est d’ailleurs censé rejoindre sa femme Catherine pour la messe. Elle l’attend, mais Léopold tarde toujours à venir. Il bâcle son travail de la journée, doit aussi aider sa cousine Josette, venue de Floride, à rentrer à Montréal, et doit faire des emplettes de Noël à la dernière minute.
Bien que le film de Carle fasse preuve d’une mise en scène assumée, théâtrale et ludique, en ce qu’elle s’apparente parfois à de la comédie de geste (les personnages sont expressifs, comiques et maladroits), le réalisateur ne cache pas sa proximité au direct. Aucune scène du film ne semble avoir été tournée en studio.
En effet, on découvre Montréal à travers les yeux de Léopold, dans toute l’énergie des années 1960, au milieu des grands chantiers de la Terre des Hommes et des gratte-ciel du centre-ville, comme si elle était filmée par un documentariste. Il n’y a pas de figurants dans le film; seulement de véritables Montréalais qu’on croise dans leur quotidien.
On assiste à une charmante scène, d’ailleurs, lorsque où Léopold fait visiter Montréal à Josette qui n’a pas vu la ville depuis longtemps. De son chasse-neige, il lui montre des monuments de Montréal, comme la Place Ville-Marie et l’île Sainte-Hélène, forts symboles modernes et modernistes bien de chez nous. L’engouement qu’ils attiraient à l’époque est d’ailleurs brillamment immortalisé à travers la lentille du réalisateur.
Le film de la Révolution tranquille
Quand on pense au cinéma québécois, on s’imagine malheureusement trop souvent des scènes de drames familiaux, campés dans un environnement rural écrasant, empreint de conservatisme catholique moralisateur. La petite Aurore, l’enfant martyre, Un homme et son péché, ou Mon oncle Antoine ne sont que quelques exemples de cette réalité devenue clichée.
L’histoire de Léopold est cependant tout autre. Au niveau de style, on est proche, comme c’est le cas chez quelques cinéastes du cinéma direct, de la Nouvelle Vague française. On remarque, dès le début du film, une approche ludique quant à la relation entre son et images, un peu à la manière de Jean-Luc Godard.
On s’amuse avec les titres. Léopold s’adresse à la caméra. Le son est dynamique et efficace, intensifiant parfois le rythme rapide de la ville, ou ponctuant les déambulations de Léopold d’un jazz naïf et charmant.
Dans La Vie heureuse de Léopold Z, Gilles Carle allie des éléments formels propres au cinéma de la Nouvelle Vague à une réflexion sur l’américanisation de sa société. Plus encore, on assiste comme si c’était la première fois au Québec à l’émergence d’un véritable cinéma d’auteur assumé.
En effet, quoi de plus québécois que de réfléchir à la fois à son caractère européen et à son américanité? Comme spectateur, on est charmé par Léopold, un francophone de la classe ouvrière, qui découvre naïvement l’anglicisation du centre-ville de Montréal, abondant en publicités, apparaissant déjà en tant que symbole fort d’hyperconsommation et de cosmopolitisme au Québec. Cela est exécuté avec tout l’humour propre au cinéma de Carle.
Un autre moment amusant du film: la scène où Léopold tente de trouver un manteau de fourrure à offrir à sa femme pour Noël…
Subvertir la religion et faire l’éloge de l’exotisme
Le rapport du film à la religion et à l’exotisme est aussi très juste dans son portrait d’un Québec moderne. Josette, une cousine venue rendre visite à la famille de Léopold depuis la Floride, est chanteuse et danseuse dans des cabarets américains. Elle dégage une sensualité, une assurance et une fougue desquelles Léopold tombera sous le charme.
Josette incarne merveilleusement toute la modernité et la liberté associée aux États-Unis de l’époque, bien loin de la bonne morale catholique propre à notre littérature du terroir, par exemple. On s’amuse beaucoup à cette idée voir les rêveries et les fantasmes de Léopold avec Josette, mis en scène dans le film…
En outre, la religion est à la fois omniprésente et complètement écartée du récit et des préoccupations des personnages. La dernière scène du film, de même que le tout dernier plan, sont particulièrement évocateurs en ce sens. On y voit Léopold qui entre en retard à la messe de minuit. Il vient ensuite s’asseoir auprès de sa femme, l’air satisfait. Ensemble, ils se prennent par la main, se regardent et s’aiment.
Puis, la toute dernière image du film: on voit un gros plan de la main de Catherine, caressant le manteau de fourrure que son mari vient de lui acheter. Ainsi, la récompense matérielle, symbolisant l’asservissement des personnages au capitalisme, apparaît comme une finalité en soi et prévaut sur le plaisir d’arriver à la messe, donc, symboliquement, sur les valeurs catholiques. Voilà un commentaire lourd de sens sur le Québec de l’époque.
Avec La Vie heureuse de Léopold Z, Gilles Carle nous divertit, nous fait rire et réinvente complètement le cinéma québécois. Son film est dynamique, moderne, jazzy, sexy… et propre au Québec de son époque et à tout ce que l’on adore voir à travers notre cinéma.
Bonne fête nationale!
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La Vie heureuse de Léopold Z de Gilles Carle en images
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