ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Sylvain Sabatié
Les premières minutes de Néon Boréal livrent l’auditoire à un sentiment de vertige. Sur scène, le rythme auquel les interprètes se donnent la réplique est effréné. Les mots anglais de même que les allusions à la culture populaire américaine foisonnent, et l’on peine à saisir le contenu de la discussion qu’ils semblent tenir sur une tribune radiophonique.
Chaque représentation de la pièce est d’ailleurs réellement retransmise en format de baladodiffusion accessible au vaste public et comprend deux épisodes parmi les quatre que compte Néon Boréal au total.
Ces quelques minutes de frénésie annoncent le contenu du premier épisode à venir. L’intrigue du tout premier, intitulé That American Life: All Stars Edition, démarre au cœur du Nevada à Las Vegas. Les opportunités que fait miroiter la ville sont alléchantes: comme le miel attire les abeilles, Vegas rallie les quidams du monde entier, désireux.ses d’accéder à la célébrité. Nombreux sont celles et ceux qui s’enfoncent dans cette nuit animée, pourchassant leurs chimères de gloire instantanée, alimentant l’espoir de s’arracher au sort qui leur échoie. Cette jeune serveuse de 26 ans chez Hooper décrit ainsi son souhait de passer en audition et de confier son sort à un agent qui sache «fabriquer des princesses» afin d’éventuellement briller sur les planches.
Puis, l’intrigue se transporte dans l’immobilité et la tranquillité relative de la ville de Barrow en Alaska, à l’autre extrémité du spectre des villes américaines, dirait-on. Or, cette apparente placidité est également le théâtre d’événements malheureux. La lassitude plaque les individus au sol – ou plutôt, au pergélisol, au «permafrost» – dans cet endroit du monde où les «chiens s’énervent par ennui».
La misère ordinaire
À tour de rôle, les membres de la distribution rendent ainsi compte des tribulations et des rencontres ayant marqué l’itinéraire de Louis-Philippe Roy et Josianne T Lavoie. Les deux auteur.rice.s de la pièce se sont rendu.e.s dans ces deux régions des États-Unis, aux antipodes l’une de l’autre. Les interprètes tendent leur micro à des personnages de la faune éclectique qui peuple Vegas ou encore Barrow.
Dans un mélange de fiction et de faits inspirés du réel, ils relatent l’existence que mènent certains individus au destin à la fois tragique et banal, incarnant les clichés qui collent au mode de vie américain.
C’est le cas de cette immigrante d’origine latino-américaine occupant un emploi de nuit à titre de «housekeeper», ou encore de cette femme éprouvée par le machisme ambiant, tenancière d’un établissement de restauration ayant vu la vie de deux femmes de sa lignée fauchée.
En définitive, Néon Boréal dresse un portrait peu reluisant des États-Unis où sévit une misère ordinaire et abrasive, ce pays bipolaire et dénué des filets de protection sociale élémentaire qui assureraient une vie décente à toutes et tous. Le quotidien est complexe pour nombre d’Américain.e.s qui traversent leur cours des jours avec peine. Face à cet enchaînement de tableaux mis en scène par Pierre Antoine Lafon Simard, l’auditoire est à même de mesurer l’amplitude des disparités qui caractérisent les États-Unis d’Amérique.
Un ensemble hétérogène
L’ambiance sonore est enveloppante, et il s’agit probablement de l’élément le plus réussi de ce singulier projet. Navet Confit, qui roule sa bosse depuis de nombreuses années déjà, ayant prêté son nom à plusieurs projets (notamment Clotaire Rapaille, l’opéra rock), signe la direction musicale. Ses effets sonores et ses thèmes musicaux confèrent un rythme soutenu au fil de la représentation.
Le regard posé sur la société américaine est impitoyable, malgré les rires qui fusent à certains instants de la représentation. Nombreuses sont les embuscades tendues aux membres de la société américaine, à certains détours de leur destin. S’ils ont espoir de s’émanciper, de concrétiser l’«American Dream» qui les habite, la vie les ramène violemment à l’ordre.
Or, force est de reconnaître qu’au-delà de cette misère commune, les liens entre les destins des différents personnages sont ténus. Il est ainsi difficile d’identifier un filon clair guidant le récit du début jusqu’à la fin de la représentation. Outre quelques menus articles auxquels les interprètes font allusion de manière récurrente, des objets iconographiques à l’instar de la Thunderbird ou encore du Alaskan Thunder Fuck, il est difficile de saisir le point de focalisation de tous ces pans de vie, et d’identifier la quête qui a animé les auteurs au fil de leur processus d’écriture. Les rapprochements paraissent ainsi forcés entre certains aspects des épisodes, donnant au résultat un aspect composite et une direction imprécise.
Quant aux histoires racontées en elles-mêmes, certaines sont spécialement émouvantes et rendues de manière convaincante par la distribution. Dany Boudreault est spécialement juste, de même qu’Ines Talbi, particulièrement en serveuse ingénue. La représentation souffre cependant de certaines cassures à certains points de cette fresque ambitieuse des États-Unis.
Il s’agit sans doute précisément de ce qu’a tenté de transmettre l’équipe de création – cette impression de clivage entre les différents morceaux qui composent l’Amérique.
«Néon Boréal» au Théâtre Périscope en images
Par Sylvain Sabatié
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