ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Bernard Dubois
L’idée d’une pièce de théâtre était bien loin dans l’esprit d’Anna Fuerstenberg lorsque celle-ci a commencé à enregistrer les histoires racontées en yiddish de sa mère. Survivante des camps de concentration de l’Allemagne nazie, cette dernière avait en effet bien des aventures et des peines à révéler, dans un humour noir bien à elle.
C’est à travers cet héritage oral que l’auteur a découvert les talents de conteuse de sa mère, les mêmes qui l’ont poussée à produire une première version anglophone en solo de la pièce intitulée The Guerilla Caregiver au printemps 2014. La directrice artistique du Théâtre Réverbère, Odette Guimond, qui campe d’ailleurs le rôle d’Anna, est par la suite tombée amoureuse de la pièce et a proposé à l’artiste bien connue du théâtre anglophone de transposer la pièce en langue française avec une plus grande distribution.
Dans le petit espace du Studio Jean-Valcourt du Conservatoire de Montréal, l’ambiance est feutrée, propice aux confidences. Les diapos de famille défilent sur de grands rideaux; un petit lit et une corde à linge forment l’essentiel du mobilier. La lumière s’éteint, et déjà on se sent entrer dans le cocon familial, sur fond de clarinette klezmer superbement interprétée par Chester J. Howard.
Trois comédiennes se partagent la réplique pour composer un amalgame de témoignages à différentes périodes des vies du duo de personnages. Grande dame du théâtre, Élisabeth Chouvalidzé brille notamment dans le rôle de la mère d’Anna. Le chant yiddish est habilement utilisé comme interlude entre les scènes pour créer un doux sentiment de compassion au cœur.
Dans l’ensemble, les nombreux changements de perspectives ne compromettent pas la cohérence de l’intrigue, mais certaines transitions et quelques changements de rôle dans une même scène s’avèrent un peu brusques. Ces maladresses sont bien vite oubliées devant la force de la mise en scène et de l’interprétation des comédiennes qui semblent très investies dans leur personnage.
Guérillas, humour et compassion regorge également de thématiques puissantes. On remarque en premier le dialogue éduqué de cultures souvent peu bavardes entre elles: le Québec francophone de la terre d’accueil se fond à l’héritage juif polonais, au Canada anglais, et même à l’espagnol de l’Amérique du Sud.
La maladie mentale est aussi traitée sans filtre, d’une part à travers la dépression de la mère éprouvée par la guerre et la perte de sa famille, de l’autre, via la détresse d’Anna face à la froideur maternelle qui la conduira jusqu’à la tentative de suicide. Encore plus émouvants sont les passages à l’hôpital alors que l’état de santé de la mère se détériore et qu’Anna doit s’occuper d’elle à temps plein dans le désintéressement total des aidants naturels. Peu exploré au théâtre, l’hommage à ces personnes-clés dans notre système de santé est autant sincère que subtil.
Le récit d’Anna Fuerstenberg est ainsi un portrait de famille poignant qui doit être vu par des spectateurs de tous les horizons ayant tous les types de bagages. Le texte de «Guérillas» possède une formidable richesse culturelle et émotive qui ne fait que confirmer le talent d’une grande artisane du théâtre québécois.
À partir du patrimoine tourmenté légué par l’Holocauste et la guerre, le choc des générations produit ici une beauté brutale qui transcende la réalité personnelle et historique. Les airs yiddish chantés et la douce certitude d’être compris bercent l’esprit, longtemps après la tombée du rideau.
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de la rédaction