ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Maude Chauvin et Jean-François Gratton (Compagnie et cie)
«C’est une histoire somme toute assez simple et surtout universelle», nous a avoué le metteur en scène, en tête à tête. Pour faire court, et pour les néophytes, Golaud (Marc Béland, la puissance incarnée), alors qu’il chassait, tombe sur Mélisande (Sophie Desmarais, la fragilité), une jeune femme inconsolée et visiblement égarée en forêt, à qui on aurait infligé des souffrances. Il la ramène à son château où elle fera la rencontre de son demi-frère Pelléas (Éric Robidoux, une force naturelle) duquel elle tombera amoureuse. Il s’ensuivra finalement un drame terrible qui brisera à jamais le triangle amoureux, alors chargé de non-dits et de jalousie.
Drame lyrique de 105 minutes sans entracte dont la facture profondément shakespearienne est destinée aux 7 à 77 ans, l’adaptation de Pelléas et Mélisande promet de montrer une œuvre plus décomplexée que ce que l’on a l’habitude de voir sur les scènes des théâtres à longueur d’année. Pour Christian Lapointe, le théâtre est d’abord et avant tout une expérience sensorielle, et il se donne justement le défi de surprendre par l’innovation. «J’aime bien emmener le public à un tout autre niveau où la quantité d’information qu’il reçoit l’oblige à lâcher prise sur sa cérébralité et à comprendre le spectacle par un jeu d’ouverture de ses sens.»
Pour ce faire, Christian Lapointe et son acolyte Lionel Arnould titilleront les sens des spectateurs avec trois écrans panoramiques qui circuleront à la verticale, puis à l’horizontale, et sur lesquels seront projetés les «masques» des protagonistes, en plus d’offrir aux regards un décor miniature de 10 pieds de longueur et de 3 pieds de hauteur. «C’est un clin d’œil à l’entomologiste qu’était Maurice Maeterlinck, grand observateur de la vie sous cloche. Dans ces œuvres, il se plaisait à observer la vie sous une loupe, comme si ses personnages étaient des marionnettes. En jouant sur des jeux d’échelle, notamment avec le décor du château, du moulin et de la campagne, on se rapproche de son obsession pour l’infiniment petit et cela nous permet d’être dans la fabrique du théâtre en direct».
Pour insuffler la vie à ces personnages intemporels et universels, créés en 1893 par le poète belge, Lapointe a eu la chance de s’entourer de sept acteurs, «des gens qui mangent la scène et qui ont l’habitude de la scène», dont cinq avec lesquels il a déjà travaillé par le passé. Pour la première fois, il s’est retrouvé aux côtés de Sophie Desmarais et Marc Béland, «deux forces de la nature», dont les rôles étaient écrits à leur image. Puis Lapointe retrouve avec joie des artistes à la fois passionnés et rigoureux qu’il a déjà côtoyés au sein de ses productions, à savoir Sylvio Arriola, Lise Castonguay, Éric Robidoux, Paul Savoie et Gabriel Szabo dans cette adaptation d’un des grands classiques du théâtre symboliste.
«Maurice Maeterlinck avait ce souci du détail et cette passion de l’écriture plurivoque sous laquelle on retrouve et décode un réseau de signes qui interpellent l’inconscient».
Christian Lapointe avoue présenter une version fidèle à l’originale, avec seulement quelques écarts qu’il se plaît à nommer «jeux de détournement» qui représentent une façon originale d’interpeller le public et de susciter son attention. «J’utilise à l’occasion des accroches pour sortir de la fiction et pour parler aux spectateurs. En faisant cela, je fais sortir des enjeux philosophiques qui s’adressent à notre contemporanéité.» Et à la façon des symbolistes, le metteur en scène se plaît à déguiser certaines théories du théâtre, par exemple celle de la vie et de la mort justifiée par la vidéo, comme à travers le jeu des acteurs et la scénographie de Geneviève Lizotte, toujours pour offrir au sens global de la pièce des éléments cachés qui rendent un hommage au travail des symbolistes.
Clin d’œil à différents contes, les germaniques comme ceux des frères Grimm, par exemple, Pelléas et Mélisande est une pièce qui interpellera jeunes et moins jeunes, Lapointe comptant sur la contemporanéité du drame et son essence universelle, en plus de l’apport de Nicolas Basque, membre de la formation Plants And Animals, pour offrir aux sens une expérience théâtrale dont chacun se souviendra. «C’est l’occasion d’apprécier une œuvre classique dans un rapport plus décomplexé que ce qu’on a l’habitude de voir sur une grande scène. Chez moi, le théâtre est une expérience sensorielle, j’aime bien emmener le public a un niveau ou, tout d’un coup, la quantité d’information qu’il reçoit l’oblige à lâcher prise sur sa cérébralité et le comprendre par le jeu d’ouverture des sens.»