ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Joé Pelletier
Malgré sa relative brièveté, quelque 160 pages, le premier roman de Sophie Bienvenu, Et au pire, on se mariera, était d’une grande densité et profondeur. Premier titre publié à La Mèche en 2011, l’ouvrage relevait l’exploit d’être innovant et créatif à plusieurs niveaux: oralité assumée, narratrice incarnée malgré une grande confusion, drame surdimensionné dans un quartier mal-aimé, amour impossible entre une adolescente et un trentenaire.
Pas surprenant que le metteur en scène Nicolas Gendron ait voulu adapter ce grand roman, l’un des plus fascinants des dernières années. Sa pièce est à l’image du texte original: puissant, rageur, bouillonnant comme si une immense vague vous submergeait un peu plus à chaque page. Et la narratrice désoeuvrée, Aïcha, trouve une voix superbe dans l’interprétation de la comédienne Kim Despatis.
Rappelons l’intrigue: Aïcha, 13 ans, se retrouve seule face à une travailleuse sociale. Baz, l’homme plus âgé qu’elle aime est actuellement détenu par la police pour un acte sordide. Que sait Aïcha au juste? Que peut-elle dire à la professionnelle? Est-elle impliquée? Nicolas Gendron a respecté cette intimité entre la travailleuse sociale et sa jeune interlocutrice. La pièce est un monologue de 75 minutes où la comédienne regarde la foule droit dans les yeux pour déballer son sac.
Et c’est confus. Et ça pleure et ça crie. Aïcha ment, revient sur ses paroles, se dévoile petit à petit, jeune fille, elle a été la victime de son beau-père, harcèlement, agression sexuelle sur mineure, on ne sait trop, mais on sait que l’amour fait mal, mais qu’Aïcha veut tout de même être aimée. Surtout de Baz qui la repousse, un temps, mais qui succombe, inévitablement, malgré la différence d’âge.
Kim Despatis surprend dans ce rôle tout en papillonnements et fouge. À 27 ans, l’actrice a su se glisser dans la peau et la verve confuse de cette adolescente au bord du gouffre. Les premières vingt minutes demandent toutefois un peu d’adaptation, les mots et intonations ne sont pas tout à fait à leur place et l’on y croit peu à cette Aïcha, pleine de tics et de mimiques typiques de l’adolescence. Mais rapidement, l’on comprend que chaque moue, chaque froncement de sourcils sert à appuyer le texte de Bienvenu qui plonge lentement mais sûrement dans le désastre et l’horreur.
Et on y croit et on l’aime cette Aïcha. Dans ses défauts, dans ses zones d’ombre, dans ses débordements. Et Centre-Sud est un décor parfait. «Pourquoi c’est jamais la fin du monde, dans Centre-Sud, hein? Me semble qu’on mériterait ça, une fin du monde. Enfin moi, je mériterais ça. Pas que je veux mourir, hein! Mais ça fait une bonne excuse pour fourrer.» Les mots de Bienvenu frisent le comique et la catastrophe tout à la fois, et la salle rit autant qu’elle frémit des émois et actes de cette adolescente instable et imprévisible.
C’est sur la petite scène, celle du sous-sol, du Théâtre Prospero que se joue le drame (c’est petit, inconfortable et le soir de la première, trop chaud, mais passons). La scène où se défendra Aïcha est cernée de morceaux de verre cassé – on nous demande de bien faire attention au décor fragile en entrant! La comédienne s’y retrouve comme sur une île déserte d’où elle doit livrer un plaidoyer. Un puissant plaidoyer.
Il fait bon retrouver les mots de Sophie Bienvenu aussi bien délivrés sur scène. Le roman était tout indiqué pour trouver une adaptation théâtrale, mais ce n’est pas tout, l’écrivaine a travaillé à une adaptation cinématographique avec la cinéaste Léa Pool. Gageons que le résultat aura de quoi surprendre. Sur les écrans en 2015.
Texte: Sophie Bienvenu Adaptation et mise en scène: Nicolas Gendron Interprétation: Kim Despatis Au Théâtre Prospero du 26 septembre au 11 octobreL'avis
de la rédaction