LittératureRomans québécois
Audrée Wilhelmy est une jeune écrivaine née en 1985 dans la ville de Québec. Actuellement au doctorat pour poursuivre son exploration du rapport entre l’image et le texte, la jeune femme, qui a jadis étudié en création littéraire à l’Université McGill, nous propose ici son premier chef-d’œuvre, un conte atemporel inspiré par Les fous de Bassan d’Anne Hébert et les contes traditionnels de Charles Perreault.
«Noé est étendue dans le lit raide du presbytère, occupée à compter les piqûres de moustiques le long de ses jambes. Le prêcheur Lô la regarde. La ceinture l’a décorée de bandes rouges partout sur le corps, mais il aurait pu frapper plus fort. La dernière fois, la boucle en métal avait laissé des traces noires boursouflées sur ses hanches et elle n’avait pas bronché. Près d’eux, des papillons de nuit foncent la tête la première contre la lampe, ça fait un bruit de métronome qui couvre le silence de la chambre.»
Noé, que tous au village surnomment « la Petite », est une jeune orpheline prise en charge pas Grumme, une sorcière disgracieuse et détestable, qui a pour fâcheuse habitude de lui brûler des grelots sur la peau dans l’espoir de la guérir de ses démons intérieurs. Lô, un prêcheur et batteur d’enfants, assiste l’ignoble Grumme avec les yeux d’un vieil homme vicieux qui n’a rien à se reprocher. Un jour, Grumme meurt tragiquement et les villageois se réunissent au cimetière pour offrir un dernier adieu à cette sorcière qu’ils détestaient tant. Noé, aucunement attristé par le destin, quitte le village d’Oss et se laisse guider, dans son périple, par le son des vagues et les chants des pêcheurs, qu’elle récite inlassablement de sa voix douce et claire comme de vieilles complaintes. Au détour d’une forêt mystérieuse, d’un cirque étrange et de quantités de bécosses bleues qui voyagent, Noé se révèle entière et nous présente son histoire singulière.
Une héroïne atypique dans un corps d’adolescente
Avec Oss, Audrée Wilhelmy nous propose un voyage singulier dans l’odyssée fantastique de Noé, une jeune fille solitaire et réservée, qui se distingue un peu des héroïnes de notre enfance, telles que Cendrillon et la Belle au bois dormant. Noé semble être plutôt l’enfant lunatique dont les jeunes se moqueraient à l’école. En fait, elle représente le stéréotype parfait de la jeune femme dans la fleur de l’âge portée par ses instincts et ses rêveries. Noé, en somme, c’est une enfant naïve et innocente, d’une beauté intérieure inouïe, qui possède également une voix magnifique, aussi douce que le chant des sirènes.
Un conte réaliste?
Dans son roman, l’auteure emploie un vocabulaire simpliste, efficace et fortement imagé, qui nous permet de voyager au rythme des pas feutrés de la jeune Noé, un peu comme si nous étions un témoin invisible à ses côtés. Le décor, en particulier la forêt, rappelle un peu l’environnement surréaliste de Hansel et Gretel des réputés frères Grimm, en peut-être moins horrifiant. Au détour d’un sentier se révèle un cirque quelque peu surréaliste dans la ville de Fort-Bouteille, avec à proximité des bécosses bleues permettant aux personnages de voyager; mais tout cela n’est que pure fantaisie et imagination, n’est-ce pas?
L’héroïne évolue au rythme de ses souvenirs qui nous sont racontés en alternance avec les événements et péripéties du présent. Audrée Wilhelmy parsème son conte atemporel de personnages colorés et d’éléments de décor quelque peu surnaturels, qui nous forcent à reconsidérer tout au long de la lecture le réalisme du conte. Ainsi, Noé, sur son chemin, rencontrera Rubben le nain, Manouche, l’adolescent Rameau, et les jeunes Fribulle, Naëlle, Coton et Marie Grille-Temps, tant de personnages aussi farfelus qu’énigmatiques. Au village d’Oss, tout semble d’ailleurs réel et irréel à la fois. Les enfants toussent des jets de mouches noires, et il n’est pas inusité de voir une baleine échouée sur le rivage, ensanglantée. Mais tous ces détails ne semblent pas alarmer Noé, qui n’est guidé que par deux seuls désirs: quitter le village au plus vite (ainsi que le magasin général de sa défunte mère) et chanter les anciens chants populaires des pêcheurs d’Oss, ses seuls souvenirs d’un passé déjà lointain :
«J’ai fait le tour du monde J’ai failli mourir souvent Défiant la mer qui gronde Et les hurlements du vent.»Audrée Wilhelmy signe ici un conte sombre et quelque peu érotique, aussi léger qu’une plume d’oiseau, et d’une imagerie à provoquer de grandes vagues sur la mer. Oss, pour un premier roman, est un véritable tour de force et une lecture de chevet que vous dévorerez goulûment en moins d’une heure!
Appréciation générale: ***1/2
Crédit photo: Leméac Éditeur
Écrit par: Éric Dumais