«Reflets dans un œil d’homme» par Nancy Huston: multiples retours sur l’image

Nul besoin de présenter Nancy Huston, cette romancière et essayiste franco-canadienne prolifique vivant à Paris et qui nous a émus, touchés et parfois choqués avec sa plume à la fois tendre et directe. Avec ce nouvel essai, elle nous plonge dans l’univers de la féminité et du féminisme, au gré de ses réflexions, de ses questionnements et de ses inquiétudes face à toutes sortes de données et de méthodes qui construisent ou déconstruisent la femme et la sempiternelle question de son image.

Depuis que l’humanité existe, chaque société a trouvé sa ou ses manières de gérer le regard que l’homme aura ou n’aura pas le droit de porter sur le corps de la femme. En revanche, aucun pays, ni société n’a jamais estimé qu’une telle gestion était superflue, que c’était une question sans intérêt, un problème qui n’avait pas besoin d’être réglé.

Dès sa sortie en France, le livre a été source de polémique. Les critiques ont aimé ou détesté, mais rares sont ceux et celles qui ont opté pour la nuance. Il faut dire que Nancy Huston traite ici d’un sujet délicat et souvent source de division, soit l’image de la femme, celle qu’elle a d’elle-même, qu’elle devrait avoir d’elle-même et que les autres ont d’elle-même; que ce soit par le regard des hommes ou par des médiums d’exposition et de critique plus directs comme la photographie et la pornographie. Le résultat est une réflexion soutenue et sévère qui aborde la femme sous toutes ses coutures, mais dans un ordre qui peut parfois paraître décousu, pour ne pas dire dénué de sens.

Le livre est en effet divisé en grandes parties et en sous-parties qui permettent à l’auteure de laisser aller sa pensée sur une kyrielle de thématiques en lien avec la femme, son corps, son image et la perception qu’elle a d’elle-même ou que les autres ont d’elle. Un sujet qui n’est certes pas récent tant en littérature qu’en études scientifiques, mais qui est abordé ici avec un point de vue très personnel, que ce soit celui de l’auteure, ou celui de femmes ou d’hommes qu’elle connaît et fréquente. Elle fait aussi beaucoup référence aux écrits de feu Nelly Arcand, dont le fantôme hante plusieurs pages de l’essai et laisse planer conséquemment un certain négativisme sur les questions soulevées, abordées et parfois débattues.

Nous passons ainsi par les mythes fondateurs impliquant la femme et sa fécondité, par le règne animal vs le monde humanisé, par le cycle de croissance de la jeune fille à la femme et ce qu’il représente, par le désir et ce qu’il signifie, etc. À travers ses chapitres se glissent donc les sujets de la beauté, de l’objet, de la prostitution, de l’enfantement ou des lois naturelles. Le résultat en est un récit complexe qui soulève une multitude de questions et de réactions chez le lecteur.

Ces réflexions parfois disparates sont constamment appuyées de faits et de données venant d’études sociologiques, psychologiques, biologiques ou historiques, qu’elle présente sans référer de manière directe. Il n’y a d’ailleurs aucune bibliographie qui accompagne l’ouvrage, ce qui est, même s’il s’agit d’un essai, un peu une déception, puisque nous aimerions pouvoir consulter certains des travaux qui ont nourri ses propos et qui nous ont parfois fait réagir. Notamment les questions de l’homme ou de la femme biologiquement ou sociologiquement programmés pour agir d’une certaine façon. Le ton de l’ouvrage surprend aussi par moments. Nancy Huston écrit ici avec une plume très franche et directe, ce qui donne un récit au ton parfois dur, même si le sujet ne l’est pas toujours et peut plutôt être source d’attendrissement (ex.: le désir ou la maternité).

Bien que parfois dérangeant (et on sent par ailleurs que c’est un objectif du propos, soit nous faire réagir tout simplement), il s’agit d’un essai à lire, ne serait-ce que pour nourrir notre propre réflexion sur la question de la femme et de son image et cela peu importe notre sexe ou notre âge. C’est peut-être d’ailleurs ce qui explique le ton général de cet essai: une volonté de rendre ce sujet accessible et intéressant au plus grand nombre de gens possible. Nancy Huston nous offre ici un essai différent, qui ne peut laisser personne indifférent et dont la force réside dans cette capacité à nous confronter constamment à nous-mêmes.

Appréciation: ***

Crédit photo: Actes Sud

Écrit par: Evelyne Ferron