ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Maxime Robert-Lachaîne
Dans une traduction de Fanny Britt, cette lettre d’amour à la mère qui s’éteindra bientôt a trouvé sa place sur la scène du Prospero, et propose aux spectatrices et spectateurs un hybride surréaliste entre la danse et le théâtre comme on en voit fort peu souvent.
Ça commence avec Claudia Chillis-Rivard qui déclame des phrases tout en improvisant les mouvements qu’elles lui inspirent – les interprètes ont d’ailleurs le défi de varier les mouvements d’une représentation à l’autre – tandis que Macha Limonchik l’écoute, assise sur un canapé rococo.
Les autres interprètes se joignent progressivement à elles, habillés des costumes évolutifs d’Elen Ewing, qui évoquent tour à tour des poupées vintage, des jouets pour enfants et de la lingerie porno. L’effet est parfois saisissant, comme lorsqu’on aperçoit Marc Boivin en jarretelles.
La scène se remplit peu à peu de meubles et d’accessoires, et la scénographie d’Odile Gamache prend alors tout son sens: nous sommes gracieusement invités dans la maison des souvenirs, un royaume kitsch et rassurant, une matérialisation inspirée et inspirante des photos de famille sépia trouvées au fond d’une boîte à chapeau.
Des accents grand-guignolesques
Les phrases affluent et les danses se multiplient, et la cadence alterne entre des moments de pur chaos et des segments plus contemplatifs. Les interprètes sont habités par les mots de Tannahill et pas une seule fois ils ne décrochent de leur transe.
Jacques Poulin-Denis nous parle du paradis en messages codés. L’hommage à la mère prend des détours inattendus. La musique de Frannie Holder baigne par moments l’ensemble d’un accent déshumanisant de discothèque presque industrielle.
Même si on a du mal à suivre toutes les idées exposées par les cinq interprètes et que le fil narratif est parfois ténu, notre esprit vagabonde dans cet assaut des sens comme s’il visitait un endroit à la fois extrêmement familier et complètement inconnu. La catharsis arrive quand le rythme enveloppe, puis fraie le chemin des mots, et que Vlad Alexis dirige une chorale apocalyptique qui fait du leitmotiv «Shake shake, mama, shake shake» une puissante ode maternelle.
C’est une expérience bien singulière qui nous est donc proposée avec ces Déclarations, une expérience d’ailleurs totalement à l’opposé de la lecture présentée au FTA en 2021, en pleine pandémie, que faisait Tannahill lui-même, laissant ses phrases s’imprimer dans l’esprit des spectateurs alors que défilait un diaporama de ses propres photos, dans l’intimité de La Chapelle.
Le texte était certes mieux servi, mais la version iconoclaste et déjantée de Mélanie Demers en explore minutieusement les moindres ramifications, extrapole sur ses thèmes, et décide d’en faire une fête lugubre où le deuil imminent est vu comme un tremplin vers la création.
La pièce «Déclarations» de Jordan Tannahill en images
Par Maxime Robert-Lachaîne
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