CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
«Je l’ai fait d’abord pour moi-même, parce que c’était dans mes tripes. Je le sentais que ça m’habitait et que ça résonnait avec mon histoire, avec ma famille proche.» – Marie-Geneviève Chabot
La cinéaste, qui a entrepris ses études artistiques et cinématographiques à l’UQAM avant de s’établir en 2010 dans le Nord-du-Québec, à Val-David, une région des Laurentides où elle est devenue, grâce à sa sensibilité créatrice, l’une des fiertés du coin, a toujours ressenti les thèmes de ses films jusque dans les tréfonds de son être. Et ce, même avant qu’ils deviennent un concept avec des contours et une ligne directrice plus nette et précise.
«Tous mes films partent d’un déclic. Mais ce n’est pas un déclic rationnel ou intellectuel. Ça se passe vraiment au niveau de l’intuition; ça vient me chercher dans mes tripes. Je ne réfléchis pas à mes sujets à l’avance; ils me frappent, ils me hantent; ils me possèdent réellement.»
Il était une fois l’histoire d’un père et de ses trois fils…
Avec Le lac des hommes, dont la prémisse est un voyage de pêche entre un père absent et ses trois fils, Marie-Geneviève Chabot avoue avoir été happée par la force d’une intuition, celle de laisser la parole à des hommes qui avaient besoin de se révéler et de se confronter.
Cette histoire familiale pourtant intime, elle la connaît bien – puisque l’un des trois fils est son ex-conjoint – et cette position, à la fois comme scénariste, productrice, réalisatrice et aussi comme mère d’un garçon, lui a permis de mieux comprendre la dynamique au cœur des discussions entre ces quatre hommes et d’inspirer confiance par sa présence effacée mais rassurante.
«Ces hommes ont décidé de se confronter plutôt que de laisser le silence reproduire le schéma d’une génération à l’autre. Et ça, ça m’a beaucoup touchée», avoue-t-elle.
Le thème de l’absence lui a toujours été cher, et avec ce film, la cinéaste avait envie que l’épreuve de Stéphane, Jean-Pierre, Jérôme et Laurent Sirois ne se déroule pas qu’en huis clos, mais qu’elle soit aussi celle de nombreuses autres familles qui ont, elles aussi, des plaies à panser.
«Leur entreprise m’a émue, parce que c’était quatre hommes qui décidaient de ne pas se fuir…»
Marie-Geneviève Chabot nous a aussi partagé le fait que la proposition initiale venait de l’aîné, lequel a lancé un ultimatum à son père en lui offrant l’opportunité de passer du temps en leur compagnie. Mais seulement une semaine par année, lors d’un voyage de pêche. «C’était à prendre ou à laisser», ajoute-t-elle.
C’est que ces trois fils devenus pères à leur tour sont déjà dans la quarantaine, ils ont leur lot de responsabilités, et c’est le seul temps dont il dispose pour passer un moment privilégié avec celui qu’ils n’ont pas appris à connaître lorsqu’ils en avaient encore l’occasion.
…et d’une cinéaste qui avait envie de partager des paroles qui résonnent
Malgré le lien de confiance qui unissait Marie-Geneviève Chabot aux Sirois lorsqu’elle leur a exprimé son idée de réaliser un film sur l’épreuve qu’ils traversaient, son projet n’a évidemment pas été accueilli avec un grand enthousiasme par les principaux intéressés.
Elle nous confie: «C’était délicat d’apporter une caméra à bord; il fallait à tout prix établir un lien de confiance. Ils avaient peur que la caméra vienne briser ce moment-là, et c’était tout à fait légitime.»
Avec le projet qu’elle avait en tête, la cinéaste avait l’intention d’obtenir un accès privilégié à un univers peu accessible, peu raconté au cinéma: celui de l’univers masculin qui se confie, qui a sa propre vulnérabilité.
C’est pourquoi elle n’a pas baissé les bras et qu’elle a su sortir les arguments justes et nécessaires pour rétablir ce lien de confiance qui allait leur donner l’impulsion d’accepter.
«Votre démarche est tellement touchante qu’elle peut toucher la corde sensible d’autres familles qui ont-elles aussi vécu un abandon ou une séparation familiale, leur a-t-elle confié. «Il faut filmer ça, il faut le partager, car c’est beau», a-t-elle contre-attaqué.
Et il n’en fallait pas plus pour que les Sirois acceptent de lui faire une petite place à bord de leur bateau, à sa caméra et elle.
Un langage cinématographique et poétique pour transcender le réel
«Je voulais vraiment rendre ça très cinématographique. C’est pourquoi, à partir d’une approche qui était très documentaire, j’ai écrit un scénario qui se voulait le plus proche d’une fiction possible, mais au niveau du langage cinématographique: des grands plans, des points de vue sous-marins, etc.»
Comme elle le dit si bien, la femme n’est pas du tout incarnée dans ce récit, mais sa présence est partout: «dans l’eau, dans l’absence, dans leurs conversations. Le point de vue de la mère est là, mais sous-entendu. On a tourné avec toutes ces intentions-là, toujours avec un désir d’épurer et d’enlever le plus de paroles possible, pour garder uniquement l’essentiel.»
Laissez-vous bercer par un flot de paroles pour guérir à votre tour
«Pour moi, mon pari c’était de partir d’une histoire qui est très personnelle à cette famille-là, d’un vécu qui peut toucher à l’univers, et où chaque famille peut se reconnaître. J’avais envie que les gens se reconnaissent à travers cette histoire-là. Il y a une aura de réconciliation autour de ce projet-là que j’aime beaucoup et que je suis contente de partager.»