«Vic+Flo ont vu un ours» de Denis Côté – Bible urbaine

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«Vic+Flo ont vu un ours» de Denis Côté

«Vic+Flo ont vu un ours» de Denis Côté

La libération de la bête

Publié le 16 septembre 2013 par Ariane Thibault-Vanasse

Crédit photo : FunFilm

L’animal traqué, souvent seul dans l’adversité, se cache du mieux qu’il le peut. Il attend, il espère, se fait petit, est rongé par la peur et l’angoisse. Il s’accroche à tout point d’ancrage possible. Dans Vic+Flo ont vu un ours, Victoria et Florence forment un couple voué à l’échec. Seulement, sans l’une ou l’autre, les amantes, toutes deux des ex-détenues, sont vouées à une mort lente. Même en étant libres, les femmes sont confrontées à un autre type de prison.

Denis Côté signe avec Vic+Flo ont vu un ours son œuvre la plus accessible au public. Une détenue en libération conditionnelle, Victoria, trouve refuge dans une cabane à sucre familiale située dans une forêt profonde. Elle y sera rejointe par son amante, Florence, beaucoup plus jeune qu’elle, et qui poursuit un rêve de fuite afin de vivre sa jeunesse qui semble lui échapper. Ensemble, elles tenteront de se refaire une vie aux abords d’une communauté qui les rebute. Le film qui a remporté l’Ours d’argent à la Berlinale en 2013 (prix qui a d’ailleurs valu maintes railleries en raison du titre de la production) évoque une toile des grands maîtres flamands. Sobre, dans la palette des couleurs terre, austère. Les séquences à l’intérieur de la cabane sont d’une intimité dérangeante. La caméra se fait distante tout en immergeant le spectateur dans la réalité de Vic et de Flo. Un point de vue dichotomique qui n’est pas sans rappeler la situation maritale des deux femmes.

Fable surréaliste, Vic+Flo ont vu un ours consiste en une longue et angoissante traque. La méfiance règne dans cette forêt où les feuilles d’arbre en contre-plongée sont étouffantes. Le ton demeure néanmoins humoristique, chapeauté par Pierrette Robitaille qui ne peut s’empêcher d’être totalement sérieuse. L’actrice qui campe le rôle de Victoria sort de son registre de jeu habituel et le résultat est poignant. Aux allures d’une dure à cuire qui a hérité d’une sentence à perpétuité, les grands yeux sombres de Robitaille laissent deviner l’angoisse abyssale de Victoria face à l’apprivoisement de cette inconnue, la liberté. La présence de la très talentueuse Marie Brassard, que l’on voit davantage aux côtés de Robert Lepage, hante la trinité constituée de Vic, Flo (Romane Bohringer est authentique et juste en beauté farouche aux désirs ambivalents) et de Guillaume, l’agent de libération conditionnelle de cette première (Marc-André Grondin, un roc). Petite à la voix fluette, elle brise cette image de fée des bois en enfilant le masque d’une chasseuse sauvage, véritable brute qui attaque insidieusement. Captives de cette bête, Vic et Flo ne seront plus jamais à l’abri.

La forêt fait office de cachette où les deux femmes peuvent s’aimer. Or, une fois en communauté, la réalité rattrape vite Flo, qui peut enfin laisser sa jeunesse et sa sexualité s’exprimer au grand jour. Vic, quant à elle, est consumée par la jalousie et la peur de la solitude qui la guette si jamais Flo la quitte. Sans sa concubine, le salut est impossible pour la sexagénaire. La mort semble alors une douce et meilleure médecine pour se guérir du monde qui a continué de tourner sans elle.

Denis Côté est parvenu à créer une œuvre forte, physique et tangible. Malgré un onirisme inquiétant, l’émotion est réelle, la douleur des femmes est palpable. Cet ours, qui a tant fait couler d’encre chez les mauvaises langues, n’est peut-être pas l’animal que le spectateur attend de voir apparaître à chaque séquence. L’anticipation est parfaitement ficelée et la fatalité qui poursuit Victoria et Florence les rattrape en effet sous une forme de bestialité néronienne. L’ours consume les amantes et peut tant bien incarner l’amour, que le désir ou la violence. Les calamités n’atteindront en rien la peau de Vic et Flo qui, au summum d’un morcellement certain, affronteront de face et en union leur destin funeste. Ce qui fait de ce film une œuvre tragique d’une grande contemporanéité.

Il est intéressant de noter qu’une bande dessinée inspirée du film de Denis Côté et conçue par Jimmy Beaulieu a été mise en ligne par extraits depuis le mois de juin dernier. Intitulée Le potager de Vic et Flo, la BD sort en librairie au mois de septembre.

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